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samedi 9 septembre 2017

Monnaie d'argent

Rosie va mieux, et si j'ai beaucoup compati, culpabilisé, si je me suis attendrie et lui ai porté sa pâtée près de son panier, je peux dire que cela m'a fait des vacances. Quel calme, ce matin, même avec Rom l'hystérique, j'ai pu donner tranquillement à manger aux chats, ils ont pu se nourrir sans risquer de se faire arracher leur gamelle. Elle ne les poursuit pas, donc pas de hurlements ni de feulements. Je suis partie faire des courses sans me demander ce que je retrouverais comme destructions à mon retour. Bref, j'ai eu l'impression d'avoir un chien normal, ou un chien spécial, puisqu'il paraît que les chiens normaux sont comme Rosie, c'est-à-dire chiants comme la mort si on ne fait pas avec eux la maîtresse d'école, comme j'ai été payée pour le faire pendant 20 années de mon existence.
Il y a quelques temps, j'ai acquis un talisman: pour 5 euros, une petite monnaie d'argent de l'époque du tsar Ivan. Il paraît que les gens les trouvent en faisant leur jardin. Ce passé qui me paraît plus vivant que mon présent imprègne la terre de Pereslavl, il est dans l'air, les nuages, l'eau du lac. Qu'est-ce que quatre siècles? Quatre vies de grands vieillards mises bout à bout. Et l'on faisait d'aussi jolies monnaies d'argent, elles circulaient ici de main en main. On construisait églises, monastères, palais féériques. L'esprit de la Russie était chrétien, païen, vivace, il produisait en permanence prières et chansons, vêtements nobles et magnifiques, architectures d'une fantastique originalité...
Je me suis prise de bec sur un fil de commentaires avec des libéraux russes, profondément vexés que je place si haut la culture russe, dans ce qu'elle a de plus russe, son art populaire, les chants conservés par Skountsev et Micha, les épopées, la foi orthodoxe... Une espèce d'intellectuelle m'a prise de haut: elle m'a débité toute l'histoire de la culture européenne infiniment supérieure à la sienne, que l'Eglise maintenait dans les ténèbres de l'obscurantisme, en remontant jusqu'à Homère, et avec quelle morgue de vieux professeur confit dans la poussière des musées... Vraiment persuadée d'avoir affaire à une inculte qu'il fallait éclairer.  Homère, je le savais par coeur à neuf ans, maman me l'avait offert dans la Pleïade pour mon anniversaire, mais qui chante encore Homère? Alors que certains de mes amis chantent les épopées russes, elles m'arrivent encore vivantes, et que me chaut qu'Homère leur soit antérieur? Skountsev et Homère s'entendraient très bien, un même souffle immémorial les porte, et ne porte pas du tout les intellos libéraux tombés de l'arbre de la vie sur les canapés des musées où ils moisissent et momifient les reliques de notre génie perdu. Justement, c'est parce que Vassiliev est en prise avec l'eau vive de la tradition orale qu'il a pu monter l’Iliade au théâtre de si magnifique façon.
Il est toujours pour moi fascinant de constater que je fais beaucoup de peine à ces intellos russes lorsque je défends leur culture qu'ils méprisent. Ils deviennent très agressifs: non, non, nous sommes nuls de toute éternité, l'Europe est le mètre étalon de toute civilisation, et nous sommes des barbares, quel dommage que nous n'ayons pas été conquis par les Polonais, au fond, hein? Par les Allemands. Et maintenant, ce serait si bien de l'être par les Américains...
Rien de me dégoûte plus que ces Russes qui se renient. Car même si j'aime la Russie et l'ai choisie, je ne renie pas le génie français ni ce qu'il m'a donné. Simplement, ce génie français a commencé de mourir depuis un bon moment, même s'il donnait encore quelques beaux rejets. La France du XIX° siècle, la France bourgeoise et capitaliste, celle des petites femmes de Paris et du french cancan, et sa dégringolade du XX° siècle, est-ce vraiment la mienne? La France était noble et fervente, elle était paysanne, guerrière et mystique, elle avait de la gueule, elle avait du lyrisme, il y a longtemps, quand elle formait, comme les Russes entre les mains desquelles circulait ma petite monnaie, un peuple homogène qui vivait dans la beauté avec un roi sacré à sa tête. Mais c'était il y a longtemps, avant la dérive de son Eglise, avant l'hérésie protestante, avant les lumières obscures des philosophes mortifères, avant l'assassinat culturel de la paysannerie faisant suite à l'assassinat pur et simple tel qu'on l'a pratiqué en Vendée.

Grand prince Ivan




Saint Georges

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