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mardi 29 novembre 2016

Petite prière vespérale

Il fait moins treize degrés. La neige crisse sous les pas, elle scintille façon Noël et le ciel est plein de vapeurs errantes et nacrées, le petit chien pique des sprints joyeux, et puis s'effondre, car les pattes lui gèlent, il faut le mettre dans son sac. Aucune envie de partir, juste quand l'hiver s'installe, avec ses féeries et ses lumières.
Entrée dans le magasin de textiles et d'antiquités "le lin russe", je discute avec la vendeuse qui me trouve un drôle d'accent et ne peut en croire ses oreilles quand je lui dis que je suis française: "Et vous venez ici? Que vous êtes courageuse!
- Oh pas tant que ça, tout semble indiquer que bientôt chez nous, ce sera comme chez vous après l'année dix-sept, nous avons eu les émigrés russes, vous aurez les réfugiés français."
Après ce premier instant de surprise, elle est ravie de voir que j'ai choisi Pereslavl.
Seigneur, saint Alexandre Nevski, saint et doux tsar Théodore, fils du Redoutable, né ici, saint métropolite Philippe de Moscou, saint Luc de Crimée, mânes du tsar Ivan, ne me laissez pas tomber et gardez-moi à Pereslavl Zalesski.
C'est vrai, quand je prie, je vois la campagne autour de Cavillargues, où je me promenais avec mon psautier, et les beaux arbres toujours verts du midi, quand je le lisais, étaient souvent parcourus tout à coup de grands souffles de vent, dans le soleil, comme si les psaumes les avaient soudain vivifiés et transportés.
Je priais plus qu'ici, du moins pour l'instant, et pourtant, je sais qu'ici, je suis à ma place.
Comme dit ma soeur, ce que je supporte ici, je ne le supporterais pas en France, je le supporte parce que je suis en Russie. La Russie me rend patiente et inspirée.
Dieu veuille m'y garder.


Un paysan obscur et misérable

La maison de Poliachov 
Ayant vu le commentaire imbécile d'un primaire de service sur les "bolcheviques patriotes" qui ont "sauvé les paysans russes analphabètes et obscurs de la Russie tsariste", je suis tombée ensuite sur une réponse toute trouvée, la vie du paysan russe Poliachov à la veille de cette révolution russe salvatrice, un témoignage de plus sur ce désastre, qui me tire à chaque fois des larmes. 
J'ai le plus grand respect pour tous les paysans du monde, les paysans français à la Giono, comme mon beau-père, ruinés d'abord par la guerre de 14 et ensuite l'Europe unie. Et tout particulièrement le paysan russe, affreusement martyrisé au cours de ce qu'on peut appeler pratiquement un génocide. Et je sais bien que le "paysan inculte et obscur" n'existe que dans l'imaginaire sinistre de l'idéologue persuadé qu'il est le sel de la terre et la lumière du monde, alors que ces appellations devraient être réservées aux apôtres du Christ et au Christ lui-même exclusivement, toutes autres "lumières" n'étant que les éclairages louches des bordels et des abattoirs du diable.
Il faut avoir un mépris complet de nos peuples respectifs, en avoir une méconnaissance profonde, prétentieuse et irrémédiable, pour oser proclamer qu'une poignée de gnomes barbichus et sanguinaires ont "éclairé" des gens dont toute la culture orale et toutes les productions artistiques reflètent la civilisation riche et originale. Une civilisation plus riche et plus originale que la culture de profs poussiéreuse assénée par des générations d'enseignants médiocres, pour aboutir au consommateur hagard et au téléspectateur abruti, soumis aujourd'hui au capitalisme sauvage le plus corrupteur et le plus vil. 
Ce récit de la vie de Poliachov, de ses fêtes fastueuses, de sa générosité, me rappelle le merveilleux livre d'Ivan Chmeliov "L'été du Seigneur", qui décrivait la vie colorée, pieuse et joyeuse des marchands de Moscou et des artisans qui les entouraient.
Hommage à la Russie défigurée et martyrisée qui s'en tirera peut-être, si ceux qui l'ont violée en 17 ne parviennent pas à terminer le travail maintenant. 
Mais je ne le crois pas. Car l'Eglise est là et, invisibles, les centaines de milliers de martyrs qui prient pour la troisième Rome devant le trône de Dieu. 

Ivan Ivanovitch Poliachov, paysan du village de Pogorielovo, district de Tchoukhloma, gouvernement de Kostroma, construisit en 1902-1903 dans son village une grande maison pour sa famille, un palais d'une beauté étonnante qui s'est conservé jusqu'à nos jours.
A 540 km de Moscou, entre Soudaï et Tchoukhloma, s'étend un endroit pittoresque, situé de part et d'autre des rives de la rivière Viga. Il y a seulement 25 ans se trouvait là le village de Pogorielovo, dont la première mention écrite remonte au début du XVII° siècle. Pour s'y rendre, il faut franchir des routes défoncées puis un gué, s'efforcer de ne pas disparaître dans un trou en passant le pont de bois. Sur la route argileuse, on trouve des traces d'élans, de loups, et même d'ours.
En 1972, vivaient 40 personnes au village de Pogorielovo. Toutes sont mortes au début dans années 90.
Pogorielovo a maintenant un triste aspect. Presque toutes les isbas du village ont pourri et se sont effondrées, les champs sont pleins de mauvaise herbe. En fait, il n'existe déjà plus. C'est un village mort. Et pourtant, il est situé dans un endroit très pittoresque et très ancien, il existait déjà au début du XVI° siècle. En 1620, il fut donné avec les villages voisins à Vassili Iakovlévitch Golokhvastov, chef de la chasse au faucon du tsar Alexis Mikhaïlovitch. En 1679, il fut tué au combat à Konotop, et son fief revint par héritage à son petit-neveu Martin Vassiliévitch Golokhvastov, arrière-arrière-grand-père de A.I. Hertzen, celui-là même qui essayait de réveiller la Russie. Maintenant, on ne peut déjà plus trouver de moyens pour réveiller le seul Pogorielovo.
aujourd'hui, tout ce qu'il reste de ce lieu de peuplement, c'est le nom et des squelettes de cabanes en bois. Mais par ce qu'on ne peut considérer autrement que comme un miracle, se dresse encore sur une petite éminence l'unique maison restée entière, construite par le paysan Ivan Ivanovitch Poliachov. Ici, alentour, c'est la forêt. Et seul le fauchage de l'herbe et l'abattage des arbres qui peuvent y pousser sauve Pogorielovo de la disparition. Une allée de tilleuls conduit à la maison.
La maison, qui peut concurrencer les meilleurs exemples de datchas dans le style russe,avec des pièces d'apparat aux décorations incroyablement riches, est en même temps tout à fait pratique d'un point de vue campagnard,tout y est intelligemment conçu, tout est adapté à la direction d'une exploitation agricole.
Dans les archives de la ville de Kostroma, ont été conservés des témoignages de l'activité du paysan Ivan Poliachov. En 1891, il possédait déjà un moulin sur la rivière Viga. En 1894, il procéda à l'amélioration du pont et des digues près du moulin pour le passage sans encombres des vaisseaux et des trains de bois.
D'origine paysanne, il savait compter et lire, ce qui lui permit ensuite dans son métier de s'occuper de la comptabilité lui-même et de conclure un contrat. Il rassembla un artel de charpentiers et de sculpteurs sur bois, il devint entrepreneur. Il s'occupait de construire des maisons de campagne et de petites architectures à Saint-Pétersbourg et dans ses environs. Tout se passait très bien, Poliachov avait du goût et de la ténacité, et son artel comptait de bons artisans. C'est pourquoi il eut même des commandes du Palais d'Hiver. Il fit les échafaudages pour sa restauration, construisit un pavillon. Pour ses services, il reçut le statut héréditaire de citoyen d'honneur. Ayant fait fortune, Poliachov revint dans son coin natal de Tchoukhloma, dans son village.
Pendant ce temps, ses trois enfants avaient grandi, sa femme Yevdokia Vassilievna était morte.
Poliachov construisit une scierie. En 1901, il s’occupait d’achat de bois : en 1901, le chiffre d’affaires était de 1500 roubles, le bénéfice de 300 ; en 1902, le chiffre d’affaires était de 2000 roubles, le bénéfice de 300.
Il faisait aussi du bénfice avec le moulin sur la Viga. « En 1902, le chiffre d’affaires était de 10 000 roubles, le bénéfice de 700 ; dans les années suivantes 1903-1905, le chiffre d’affaires fut de 12 000 roubles, le bénéfice de 840 ».
A Pogorielovo, Poliachov se développa très largement. Il acheta des terres. Son affaire grandit. Au moulin il ajouta une fabrique de beurre. La scierie produisit plusieurs filiales. Poliachov avait beaucoup de terres et de troupeaux. Ses forêts étaient entretenues et renouvelées.
Ivan Ivanovitch fit construire une chapelle au village (elle y est encore, mais elle a pris beaucoup de gîte). Poliachov donnait du travail à beaucoup de gens, il donnait la préférence à ceux qui ne buvaient pas.
Dans l’ensemble, Poliachov laissa un bon souvenir, il venait en aide à tous ceux qui en avaient besoin, prêtait de largent sans pourcentage, secourait les gens dans les années sans récoltes. Il pouvait fournir aux habitants de Pogorielovo du bois pour leurs isbas, et du bétail.
C’était un bon vivant et il ne put rester seul. Ayant élevé ses enfants, il décida de se remarier. La deuxième femme de Poliachov, Maria Nikolaïevna Souvorova, fut prise comme fiancée dans la famille du prêtre de l’église de la Présentation au Temple. Le mariage fut heureux.
C’est pour sa jeune femme que Poliachov construisit cette maison-palais dans les années 1902-1903.
Dans le district, furent construites près de 50 maisons paysannes semblables.
La maison avait des toilettes fonctionnelles, elle était astucieusement chauffée. Les murs et les plafonds étaient décorés de fresques. Maria Nikolaïevna était une excellente maîtresse de maison, elle s’occupait elle-même du jardin. Elle portait les plus jolies robes, mais comme elle enfantait souvent et grossissait, elle distribuait ses atours aux jeunes filles de Pogorielovo et aux ouvrières, et l’on disait pour cette raison que « les femmes de Pogorielovo sont les plus élégantes, c’est Poliachov lui-même qui les habille ».
La famille compta cinq enfants. Les Poliachov vivaient ouvertement. Ils faisaient de grandes fêtes, instalalient des tables dans les rues, les villageois et les ouvriers s’en donnaient à cœur joie. On a conservé des souvenirs de vieux habitants, dans lesquels on raconte que Poliachov adorait les fêtes et, pour la semaine grasse, se déguisait parfois en ours, en revêtant une pelisse d’ours. Un jour qu’il était ainsi vêtu, les chiens du village l’attaquèrent et les paysans le sauvèrent à grand peine, mais Poliachov hurlait de rire. Il arriva que sur un tobbogan de neige, les manches de sa pelisse furent arrachées, et Poliachov non seulement ne se fâcha pas, mais en plaisantait sans cesse.
En dehors des fêtes, Ivan Ivanovitch aimait les thés du soir, auxquels il conviait des gens. Il organisait aussi des bals dans sa maison.
D’après des documents d’archives, en 1906-1909 Poliachov commanda le cadastrage de ses terres (la liste est grande). En 1912, il présenta une requête pour l’établissement d’un moulin à farine à vapeur dans la paroisse de Bouchnievo près du village de Sakhinska.
Par la suite, Poliachov acheta tous les vieux moulins des environs, les ferma et en construisit de nouveaux, équipés à la pointe de la technique. Le broyage de Poliachov était réputé comme le meilleur, on lui portait tout le grain. Le 10 juin 1914, Poliachov conclut une affaire à l’étude du notaire de Kostroma Nikolaï Nikolaïevitch Bestoujev (rue Roussina, dans la maison Lioubimov) avec le petit bourgeois de Tchoukhloma Stépanov Alexandre Ivanovitch. Stépanov emprunta à Poliachov 16 000 roubles sans intérêts sur un délai de deux ans (avec la garantie de son bien dans le district de Tchoukhloma).
Le 11 juin 1916, la sœur de Stépanov, Alexandra Grigorievna Stépanova, veuve de marchand, rembourse son prêt à Poliachov.
Avec l’argent de Poliachov, fut reconstruite et agrandie l’église paroissiale de Dorka. La seule photographie de Poliachov a été prise à la consécration de l’église, après les travaux, en 1910. Poliachov est un important monsieur en costume, avec une petite barbe et des médailles.
Son père, Ivan Dmitrievitch, est inhumé dans le cimetière de cette église, du côté sud de l’autel, en face de celui des petits propriétaires terriens locaux. La pierre tombale est solide (une dalle massive), avec une croix forgée, mais très simple (les propriétaires terriens ont beaucoup plus d’anges et d’épitaphes recherchées), il y est écrit : « Ivan Dmitrievitch Poliachov, paysan du village de Pogorielovo ».
Il semble que Poliachov ait été fier de son origine, et plus riche, peut-être que tous les nobles du district, à l’exception peut-être des Katenine, il se considérait comme plus intelligent, car il avait dû son succès à son travail et non à son extraction.
Voilà ce que c’est qu’un autodidacte russe !
On a des raisons de supposer qu’au début de 1917, comprenant la complexité de la situation, Ivan Ivanovitch commença à se défaire de l’immobilier et à rembourser ses dettes. En particulier, le 25 janvier 1917, il vend à la femme d’un citoyen d’honneur Anna Zakharovna Troïtskaïa résidant au village de Davydovsk du volost de Vvedieno du district de Tchoukhloma 21 déciatines 129 sagènes carrées de terre pour1500 roubles.
Le 3 février 1917, il réalise une autre affaire, en vendant au paysan du village de Iamskaïa du volost de Kema, du district de Nikolskoïe du gouvernement de Vologda Alexeï Ivanovitch Kossariev un bien immobilier (acquis en 1910) de 96 déciatines 1117 sagènes carrées, sur le terrain vide de Gloukhari près du village de Zdoureïev du volost de Soudaï pour 1440 roubles.
La révolution interrompit tout. Des dizaines de proprités de la région de Kostroma furent réquisitionnées en 1918 par les bolcheviques.
Le destin ultérieur de Poliachov est tragique.
Les bolcheviques ont « dékoulakisé »les Poliachov, en leur prenant au début tout, sauf leur maison. Ensuite, en 1918, il fut décidé d’installer dans la maison la nouvelle administration, le selsoviet, et aussi le médecin et quelques familles paysannes. On laissa à Ivan Ivanovitch, à sa femme et leur fille une pièce au rez-de-chaussée.
Le moulin à vapeur, la scierie et autres avaient été pillés déjà au cours des troubles de la guerre civile et ne furent jamais restaurés.
Ivan Ivanovitch vécut encore 17 ans, dans sa cellule, sous le pouvoir soviétique, et mourut en 1935. Comment vécut-il, que fit-il, on n’en a gardé aucun souvenir. On ne sait pas où il a été enseveli.
Tout de suite après sa mort, sa femme et sa fille disparurent de Pogorielovo, redoutant visiblement quelque chose. Comme on le sut plus tard, elles étaient parties en Sibérie.
En 1972, le selsoviet fut fermé et abandonna la maison de Poliachov.
Pendant la période soviétique, les villages mouraient petit à petit. La région de Tchoukhloma devint un terrible désert. «L’abomination de la désolation » s’empara d’elle.
Les traces des trois enfants de Poliachov se perdent dans le temps, peut-être ont-ils été emportés par les répressions, peut-être par la guerre. Les descendants des deux restants vinrent à Pogorielovo, se promenèrent, firent des photos et repartirent.
La fille de Poliachov vivait en 1980 à Tomsk. Un jour, elle vint avec sa petite-fille voir la maison de son grand-père. Toute cette histoire nous amène à réfléchir. Voila, comme on peut le voir, quelle vie pouvait se faire un paysan travailleur dans la Russie des tsars !
Le destin du paysan Poliachov aurait-il pu prendre un autre tour ? Comment serait notre pays, si des gens comme Poliachov avaient pu poursuivre leur travail ?
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La maison de Poliachov
La maison de Poliachov, intérieur


 
Ivan Poliachov et son entourage à l'inauguration de l'église reconstruite par ses soins.



dimanche 27 novembre 2016

Divers lapins



Encore une fois, je suis restée coincée à Moscou. Le jeudi soir, je suis allée au diable vauvert, soit au métro boulevard Dmitri Donskoï, dans l'église du même nom, retrouver Skountsev, et à sa place, m'attendait un gros lapin russe goguenard. Mais ne nous hâtons pas de tirer des conclusions désagréables sur Skountsev, habitué et des lapins et des plans, il n'y était pour rien, simplement, tout le monde se fichait éperdument sur place et de Skountsev et de moi-même et personne n'a été capable de me dire où répétait le chœur cosaque, au contraire, on m'assurait qu'il n'y avait plus personne dans les locaux. Quand à mes coups de fil répétés, Skounstsev n'entendait pas son téléphone, occupé qu'il était à chanter ou faire chanter les autres. Cependant, il a fini par m'appeler, et nous nous sommes retrouvés à l'Arbat, où il a un local sensationnel. Il m'a montré des accords de base, sur les gousli, et je pense avoir oublié la moitié de ce qu'il m'a dit, mais avec lui, j'apprendrai, car il est d'une patience à toute épreuve, et il connaît bien son affaire. Nous avons aussi bu le thé et discuté. A propos d'un joueur de gousli, il me dit: "C'est un païen." Skountsev, lui, est vieux-croyant, il ne reconnaît pas les réformes malheureuses et inutiles du patriarche Nikon, au XVII° siècle. "Tu as un problème avec le paganisme, Volodia? lui rétorquai-je. Moi, cela ne me dérange pas tellement.
- Moi non plus. Il est partout, dans nos traditions et jusque dans l'église, c'est notre enfance. Ce qui me dérange, c'est le néopaganisme, cette espèce de reconstruction artificielle et aggressive envers nous, ces poses que prennent les gens qui se disent païens, ça, ça me dérange."
Il était à l'inauguration du monument à Ivan le Terrible et proclame qu'il a été abondamment calomnié, et ça, je l'admets, mais que tout soit faux, dans l'histoire officielle, au point où il le dit, cela me paraît peu probable, d'autant plus qu'il y a l'histoire de l'église et les vies des saints martyrs de son époque pour témoigner de la version contraire. Cela étant, la position d'Ivan le Terrible n'était pas simple, et il a fait certainement moins de victimes que Pierre le Grand, auquel tout le monde trouve normal d'élever des monuments, pour la simple raison qu'il était occidentaliste, adorait les Allemands et les Hollandais et détestait, comme Lénine, tout ce qui était profondément russe. En tant que vieux-croyant, il est compréhensible que Volodia soutienne Ivan le Terrible, en réalité, si je devais choisir entre Pierre le Grand et Ivan le Terrible, je choisirais ce dernier sans hésiter.
Je devais repartir le lendemain, mais je voulais me confesser à mon père Valentin. Il m'invita à venir le faire à 8 heures du matin. Mais Xioucha recevait son frère Kolia et une charmante et jolie jeune femme de ses amies, Tania. La soirée s'est prolongée, et pour une fois, le matin suivant, je ne me suis pas réveillée, et j'ai posé à mon père spirituel un beau lapin français. J'ai décidé d'aller me confesser le samedi après-midi, mais c'était le père Valentin qui n'était pas disponible, il était malade. Du coup, j'ai traîné jusqu'au dimanche.
Xioucha m'a dit qu'avec son amie Tania, elles étaient "amoureuses de moi". Tania est une jeune femme intelligente et profonde, et cela ne lui facilite pas la vie, surtout pas la vie sentimentale, et elle est très pratiquante, en plus. J'étais pleine de compassion. L'époque n'est vraiment pas faite pour les femmes comme elle, et comme moi. Nous avons évoqué l'illusion de la liberté qui nous avait conduits à une sorte d'esclavage tarifé et de solitude affective sans remèdes, et nous sommes demandés comment résistaient les gens qui n'avaient pas notre enracinement dans l'orthodoxie. D'un autre côté, dans l'orthodoxie, on trouve aussi parfois des pères spirituels pas piqués des vers qui détruisent joyeusement l'existence de ceux qui ont l'imprudence de la leur confier, c'est un fait déplorable mais réel. On a bien raison de dire que les pires ennemis de l'Eglise ne sont pas à l'extérieur mais dans ses rangs. Cependant, le tour que prend le monde nous confirme toujours davantage que, quels que soient les péchés observés chez les membres de l'Eglise, l'Eglise reste l'arche de notre salut, non seulement dans le monde à venir mais déjà dans celui-là. Je remarque que finalement, la conscience que nous sommes tous pécheurs à des degrés divers est tout de même profondément enracinée dans la conscience du Russe orthodoxe, et de plus en plus dans la mienne, avec pour conséquence une compassion croissante pour tous les autres, contraints comme chacun de nous de se débrouiller comme ils le peuvent dans le filet des passions et des contraintes extérieures d'un monde déboussolé.
Une de mes amies ayant confié à un prêtre qu'elle avait, au cours d'une soirée bien arrosée, embrassé un copain en l'absence de son mari s'est entendu répondre: "Bon, naturellement, ce n'est pas bien; mais cela prouve au moins que tu es encore vivante!"
J'ai profité de tous ces délais pour aller voir les Soutiaguine, qui vivent encore en appartement communautaire, dans lequel ils ont pu louer une chambre de plus, pour leurs filles, ce qui leur donne un peu plus d'espace. Malgré ces conditions de vie difficiles, les Soutiaguine sont toujours gais comme des pinsons, et bienveillants, pleins d'humour. Leur famille est très unie.
Nous avons parlé du Domostroï, le ménager écrit par l'archiprêtre Sylvestre, confesseur d'Ivan le Terrible. Je suis en train de le lire pour voir si le contenu est aussi révoltant qu'on le dit. "Oh s'exclame Kostia Soutiaguine en riant, moi, vous savez, à y bien réfléchir, je trouve qu'il n'est pas si mal, ce livre. Je n'ai que des femmes comme élèves, à mes cours de peinture, et je pense que les préceptes de l'archiprêtre Sylvestre ne sont pas dénués de fondement, je m'oriente vers une sévérité inébranlable, c'est une question de survie!"
C'est un grand admirateur du peintre Marquet qui jouit d'une plus grande réputation en Russie que chez nous. "Je suis allé à Paris dans une librairie spécialisée, et personne ne semblait savoir qui c'était. Je pensais que j'avais mal prononcé son nom, et je l'ai écrit. Non, ils ne voyaient pas. Je crois que je vais éditer quelque chose sur lui et l'intituler: "Marquet, peintre russe"!
Je suis allée acheter deux planches à icônes rue Ostojenka, au monastère de la Conception de la Mère de Dieu, que je trouve particulièrement beau, avec ses coupoles précieuses dont l'or et l'argent jouent avec les nuages, et avec les éclairages urbains. Au passage, j'ai vu l'ambassade anglaise, la résidence qu'Ivan le Terrible avait fait construire aux marchands et émissaires anglais, après que le naufrage d'un navire à l'embouchure de la Dvina septentrionale ait permis de nouer des relations entre les deux royaumes, et entraîné la fondation de la ville d'Arkhangelsk.
intérieur du monastère de la Conception

le "gousliar" Romane chante une épopée russe 
sur les gousli. Un instrument dont on a trouvé des 
exemplaires du X° siècle dans des fouilles à
Novgorod




mardi 22 novembre 2016

Skountsev à l'horizon



Très beau temps, avec de merveilleux couchers de soleil rouges, mais comme il a gelé sur la neige fondue, nous avons une telle croûte de verglas qu'il est difficile de se déplacer sans risquer de se casser une jambe, c'est très frustrant. Le voisin m'a dit qu'on avait cela normalement au mois de mars.
Je suis néanmoins heureuse, comme si j'avais rallié un port, celui de l'embarquement définitif, sans doute, dans quelques années. Aussi je crois que je resterai ici, parce que c'est mon destin d'y finir mes jours et d'y donner mes fruits, des fruits longuement mûris.
Au monastère de Solan, on me disait que lorsqu'on obéissait à la volonté de Dieu, on s'en apercevait à la paix intérieure qui suivait la bonne décision. C'est exactement ce que je ressens, en dépit des problèmes de permis de séjour et autres incertitudes, et si c'est la volonté de Dieu, alors je resterai.
Ma maison me plaît, elle est paisible, saine, je m'y sens en sécurité, et si le paysage n'est pas très pittoresque, il m'offre beaucoup de ciel.
Mon ami le cosaque Skountsev m'a appelée et c'est lui qui va m'apprendre à jouer des gousli, contre ma collaboration de traductrice pour le site de son ensemble Kazatchi Kroug. Skountsev est bien sûr un spécialiste des plans russes, mais Dmitri Paramonov m'ayant posé un lapin russe (autre phénomène fréquent et typique), et ne manifestant pas d'enthousiasme à l'idée d'enseigner son art à la vieille Française, bonjour Skountsev, bonjour les répétitions arrosées et les fêtes à l'accordéon. Il m'a bien manqué, le rusé Skountsev, avec ses plans et ses joyeuses réunions, son tempérament, son talent, je suis contente de le revoir.
Sur la route de Iarsolavl, quand on va au centre commercial Magnit, on voit sur la gauche un panneau:

АНГЕЛА ХРАНИТЕЛЯ В ДОРОГУ!
Que votre ange gardien vous accompagne!



Jamais vu ça sur nos routes françaises. Il est vrai qu'ici, sur les routes, il vaut mieux que l'ange gardien ne dorme pas.






Skountsev accompagne son fils Fédia à l'anniversaire de
celui-ci

Je chante avec Skountsev une chanson de Pâques

dimanche 20 novembre 2016

Portrait russe

Il fait un temps merveilleux, avec quelque chose de printanier, soleil, lumière, douceur relative du vent, mais la neige s'est transformée en croûte savonneuse sur laquelle il est extrêmement risqué de s'aventurer quand on a de vieux os fragiles. Il me faudrait prévoir une "biesedka", une petite pergola à l'abri de la neige où il serait possible de prendre un peu l'air par de telles journées. J'avais à la datcha un endroit protégé où l'on pouvait rester au soleil dans un simple pull au mois de février, quand il faisait encore - 18 la nuit.
Olga Kalashnikova s'est lancée dans la photographie et voulait faire mon portrait. J'ai posé et au début, ce n'était pas facile, car elle me trouvait l'air triste. Or c'est mon air naturel, et je ne peux pas me fendre la gueule sur commande. Je m'en suis sortie en lui chantant des chansons, ça décontracte. Elle était très contente, en pleine extase créatrice. Cela se passait dans la dernière pièce qui n'est pas réparée et qui a gardé ses poutres originelles. Malheureusement, elles sont très abîmées, et les artisans ont prévu l'électricité avec de grosses gaines disgracieuses et mal placées, censées être recouvertes, il faudrait tout refaire. Olga me dit de garder au moins un mur, je pensais que ce serait moche, pas sûr. En réalité, il faudrait en garder trois, mais il y a des endroits difficiles à rattraper, et il vient un moment où l'on en a tellement marre des travaux qu'on va au compromis exténué...
Nous nous étions retrouvées au café français, dont j'aime vraiment bien l'atmosphère décontractée et paisible. Et j'y retourne aujourd'hui, car on veut me prendre une interview pour le site d'informations culturelles local: en un mot, la gloire.




samedi 19 novembre 2016

papillon d'hiver


papillon d'hiver

Je garde à l'esprit un jeune homme entrevu dans le métro, un très beau jeune homme de type résolument slave, qui devait avoir dans les dix sept ans et serrait contre lui,d'un geste protecteur et pataud, une jeune fille mignonne aux cheveux endommagés par une teinture et une coupe épouvantables, comme les ados aiment à en faire. Le garçon avait de grands yeux clairs et brillants, un sourire heureux et songeur, il était amoureux, bonne chance, petit bonhomme...
Chez Xioucha, une belle jeune femme au physique éthéré, son amie Marfa, m'a raconté l'histoire de "Vaska le Peinturluré", un repris de justice couvert de tatouages, d'où son surnom, et de condamnations à répétitions, car il n'arrivait pas à se réinsérer, et retombait toujours dans son ornière. Jusqu'au jour où il a croisé le chemin d'un homme riche au désespoir, dont le fils tombé en prison y était mort. En souvenir de son fils, cet homme a pris Vaska sous sa protection, lui a donné du travail. Et Vaska s'est marié à cinquante ans, il vient d'avoir un enfant, il va à l'église, il s'est entièrement racheté.
Marfa est une fervente admiratrice de Marcel Proust et m'envie de pouvoir le lire dans le texte...
J'ai dans la maison un papillon que le chauffage a dû réveiller de son hibernation. Ce genre de papillons hiberne souvent dans les greniers des maisons, j'en avais aussi à la datcha et, au mois de février, j'avais trouvé leurs ailes précieuses semées sur la neige. Je suis allée le mettre près de ma cheminée désaffectée, pour qu'il retrouve un endroit plus frais, je ne voudrais pas que son réveil prématuré ne causât sa perte. Il est resté un moment perché sur mon doigt, ouvrant et fermant ses ailes, et il faisait un bruit, comme un minuscule éternuement, je ne savais pas que les papillons pouvaient produire des sons.
Il est étonnant de voir autant de neige, et avec cette permanence, au mois de novembre, j'espère que nous n'aurons pas la pluie au mois de janvier... La neige est la lumière de nos hivers ténébreux.
l'éléphant rose et la maison jaune du café français dans leur environnement hivernal.

La rivière Troubej sous la neige

jeudi 17 novembre 2016

Méfiez-vous des plans russes

Les Russes sont des gens très serviables et compatissent avec énergie à votre destin, sous forme de conseils et d'offres de services divers, ce qui peut être parfois étouffant, parfois réconfortant et utile, et peut aussi revêtir la forme du plan russe, ou de la combine russe, il faut savoir que ce plan est généralement foireux, car la plupart du temps, il est mal préparé et repose sur de bonnes intentions n'allant pas jusqu'à la réalisation concrète, des relations qui vous assurent de leur soutien et vous plantent.
Lorsque je cherchais à revenir ici et voulais acheter une maison, un ami adorable, serviable que je considérais quasiment comme un neveu, m'avait proposé son aide, et même enjoint de ne rien faire sans lui, car j’allais me faire forcément avoir. (Dans le plan russe entre souvent le paramètre qu'à part l'obligeant ami, le reste de la Russie est constitué d'affreux individus, avides de rouler l'étranger naïf). Il avait commencé par m'offrir carrément de construire sur le terrain de ses parents, ce qui m'avait semblé quand même difficile à envisager et n'avait d'ailleurs pas eu de suite. Dans la foulée de son aide pour trouver une maison, aide indispensable étant donné le contexte, ma naïveté et les individus susnommés, il m'offrait aussi d'essayer de me faire un visa de travail comme collaboratrice. Je lui envoyais scrupuleusement les offres qui me paraissaient intéressantes, j'attendais sa réponse, son avis. Il me disait que sa mère était au courant de tout ce qui se vendait d'intéressant du côté de chez eux, et j'attendais les propositions. Mais comme il était très occupé, sur place en  permanence, et moi en séjour de trois semaines, j'en perdis deux à attendre que tout cela se concrétisât et me retrouvai à la veille de mon départ sans avoir rien acheté. Je me permis alors de lui faire observer que sans ses promesses et exhortations, j'aurais cherché toute seule et peut-être trouvé, et il ne m'a plus jamais répondu depuis, à mon grand chagrin: le plan russe, s'il est foireux, et il l'est bien souvent, il convient de s'en détourner sans faire remarquer à son auteur qu'il ne tient pas debout.
Dans le même cas de figure, de gentils amis se sont emparé de mes problèmes de permis de séjour pour en simplifier l'obtention, car n'ayant pas de conjoint russe, et les années que j'ai passées à travailler au lycée français ne comptant pas pour l'administration en raison de mon passeport de service, je suis obligée de passer par le système des quotas, plus compliqué et aléatoire. Avec une juriste, tout cela me coûterait dans les 5000 €, et je n'ai pas d'argent en trop. Le patron du café français me donnait le sage conseil de faire tout cela à Iaroslavl, où il y a moins de demandes, et pas de Français depuis lui-même, mais mon enregistrement sur Moscou complique un peu les choses. avant l'élection de Trump, je craignais aussi que la guerre n'éclatât au milieu de mes démarches longues et assorties d'allers et retours pour refaire des visas de tourisme en attendant un permis de séjour. Et au moment où j'allais commencer tout cela avec une juriste locale compatissante, est arrivé le plan russe, les conseils de la relation bien placée qui me téléphone et considère que je dois passer sur "statut spécial", et insister pour cela, mais elle est malade le jour où je dois aller au centre d'immigration et ne peut m'accompagner, donne des recommandations irréalisables, du genre raconter sa vie au fonctionnaire de service qui a autre chose à faire et s'en fout, mais n'a absolument pas préparé le terrain en communiquant une note pour attirer l'attention sur mon cas.
J'ai donc visité pour rien et par deux fois le centre d'immigration de Moscou. C'est à quarante minutes au sud de Moscou dans un village perdu. Quand vous sortez du métro, en bout de ligne, vous attendent à l'affût des meutes d'Ouzbeks pour, une fois la bagnole pourrie bourrée au maximum, vous transporter là bas à tombeau ouvert. Le centre est un immense truc bien propre avec des toilettes super et des distributeurs de boisson, des vérifications minutieuses à chaque palier, on ne va pas vous le donner comme ça, le permis de séjour, encore moins selon le "statut spécial" recommandé par le copain de mes copains, je l'ai senti tout de suite. Cependant, mes bienfaiteurs insistaient avec la dernière énergie pour me garder dans le cadre de leur plan russe: je n'avais pas compris, je ne savais pas expliquer, il me fallait y retourner, j'avais payé 5000 roubles pour déposer une demande et rien n'avait été fait, il me fallait raconter ma vie à l'inspecteur. L'inspecteur avait le regard de la tête de Méduse, et encore je ne sais pas si celui-ci n'avait pas plus de douceur er de compréhension.
Résultat de la galère: les demandes ne se déposent pas là bas, mais à Moscou dans un autre service, et seulement la première semaine du mois. De sorte que j'ai perdu encore des jours et mon énergie pour rien, comme disait le ministre Tchernomyrdine, ce qui est devenu ici quasiment un proverbe, : "Nous voulions faire pour le mieux, et ça s'est passé comme d'habitude!"