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samedi 13 mai 2017

Un tour au petit marché

Des bonshommes sont venus nettoyer mon terrain. La quantité d'ordures est impressionnante, à croire que le jardin servait de décharge aux propriétaires. Il y en a vraiment des tonnes, et partout. A certains endroits, j'ai décidé de simplement enfouir.
Je suis allée faire un tour au marché couvert, et au petit marché extérieur attenant. Au marché couvert, on trouve de bons produits laitiers du producteur au consommateur, c'est pratiquement tout ce que je mange encore d'animal avec les oeufs. Les oeufs, un vieux en vendait sur le capot de sa voiture, les siens. D'autres vendaient des plants d'arbres fruitiers, de buissons et de fleurs, j'ai acheté un pavot et des framboisiers, il n'y a pas encore grand choix, car il fait toujours froid, et la végétation est en retard. .Une vendeuse physionomiste m'a reconnue, après mes six années en France, elle s'appelle Sonia et vient du Daghestan, elle m'a parlé de ma voiture "aux numéros rouges" (diplomatiques) et de mon ravissant petit chien... Ses fraises de Crimée sentaient très bon, mais elles n'avaient pas de goût...
Il me faut aller à Moscou et j'ai un bon fil à la patte, avec la chienne maudite. Heureusement, Xioucha, de bonne composition, me dit de venir avec elle, même si elle pisse dans son appartement. Mais du coup, je rate la fête de l'icône miraculeuse de mon monastère saint Théodore. J'ai raté les vigiles à cause du nettoyage du terrain, je raterai la liturgie pour ne pas tomber dans les bouchons des retours, et je pourrais attendre lundi, mais demain soir, c'est l'anniversaire de Skountsev.
Pour la première fois de ma vie, j'ai le mal du pays, je pense à mes promenades avec Doggie sur les chemins du Gard aux senteurs aromatiques, au mistral, aux amandiers depuis longtemps fleuris, je me sens orpheline. C'est parce que ce pays, je suis en train de le perdre, comme j'ai perdu mes parents et mon enfance, il est probablement en train de mourir, en tous cas, on s'emploie de toutes les manières à le faire disparaître, et je n'ai plus devant moi, dans mon dernier refuge russe, que le grand départ pour le seul Royaume encore disponible.

Sonia du Daghestan



vendredi 12 mai 2017

Un peu en panne

Je n'arrive pas à quitter ma maison ni pour aller à Moscou, ni pour aller visiter les environs, une énorme flemme me submerge. Je jardine un peu, à travers les épaves qui jonchent le terrain. J'ai même trouvé, en soulevant des tôles, une espèce de trou rempli de bouteilles vides, comme si on avait voulu en cacher une collection. Des pleines, à la rigueur, j'aurais compris. Mais des vides?
Je voulais aller marcher avec Rosie, comme je le faisais avec mon Doggie, dont l'absence et le destin continuent à me navrer. L'énorme chienne du voisin, un berger du Caucase, toujours à la chaîne, n'a pas réagi à mon passage mais a bondi comme une furie à la vue de Rosie, et elle s'était détachée! Heureusement, comprenant qu'elle avait affaire à un chiot, elle s'est arrêtée net. Je n'ai même pas eu le temps d'avoir peur, je ne pensais qu'à me saisir de Rosie tétanisée.
Rosie ne sait pas marcher à mes côtés, elle se jette dans mes pieds. Et elle a peur. J'ai dû la ramener à la maison.
Elle embête les chats, et fait des bêtises.
Olga Kalashnikova fait de magnifiques photos de Pereslavl et de ses environs. Elle en a même fait du village de Krasnoïé, où j'avais ma datcha. Le ciel est ici captivant, avec des nuages grandioses, et à Krasnoïé, je passais beaucoup de temps à les regarder et à les peindre. On comprend, à la vue d'un tel ciel sur un tel espace, la nature particulière du tempérament russe et de son mysticisme.
Cette flemme que je ressens vient sans doute des mois mouvementés que j'ai passés, des allées et venues, des travaux, de la mort de Doggie, des événements en France et dans le monde, du froid persistant... Cela fait deux jours que je fais l'impasse sur mes prières quotidiennes, et je m'en ressens: tristesse, inquiétude vague, fatigue... C'est la petite crise d'acédie, sans doute.

Le clocher de Krasnoïé par Olga Kalashnikova

Le ciel au dessus du lac par Olga Kalashnikova

mercredi 10 mai 2017

Tobie n'est pas celui que l'on croyait...


Je me suis enfin décidée à aller chez le vétérinaire avec le chiot, et la clinique m'a fait très bonne impression, personnel chaleureux, locaux propres. Le médecin et ses aides étaient positivement ravis de voir le corniaud russe typique adopté par une Française à spitz... Mais j'ai appris que le machin était une femelle. Je le vois tout de suite  chez les chats, et là, je me suis trompée, donc ce n'est plus Tobie, mais Rosie, sans doute, ou Josie, j'aurais aimé Nana ou Ginette, mais j'ai peur de la déstabiliser... Dans un sens, je préfère, une femelle est plus facile à contrôler, pour une femme, et autre bonne nouvelle, elle ne sera pas très grosse, de taille moyenne, un peu plus haute qu'un cocker. Elle pète de santé, à part toute une série de parasites internes et externes. Je le vois bien, car elle en sait quelles bêtises inventer et bouffe comme un canon.
En sortant de là, je suis allée au Dendropark, l'arboretum local, qui a un service de vente de plants locaux. J'ai trouvé tout ce qu'il me fallait pour une somme très modique: un merisier déjà plus grand que moi et cela pousse très vite, ici. Les baies en sont comestibles. Deux noisetiers. Ce qu'on appelle ici un lilas de Hongrie, cela ressemble un peu à du lilas mais cela fleurit plus tard et n'est pas envahissant. Une spirée blanche. Un cognassier du Japon.

 Hier, j'ai bricolé et rangé ce qui va devenir mon atelier. Je mets quelques photos de Rosie ou Josie à l'intention de ses admirateurs fervents.





Je ne sais pas si je peins le mur blanc comme les autres. Après mûre réflexion, je mettrai des étagères à la place du bahut et le bahut contre le mur blanc

mardi 9 mai 2017

L'hiver est précoce, cette année, à Pereslavl...


Il fait un froid terrible. Ce matin, il neigeait, et la neige tenait, je n'en croyais pas mes yeux. Je n'irai nulle part, journée bricolage au chaud. 
Je me suis décidée hier à retourner au café français, mais d’y entrer sans Doggie m’a bouleversée et je me suis mise à pleurer. La vendeuse et la patronne sont venues me faire des câlins. Je ne pense pas que cela me serait arrivé en France !
Puis le patron est arrivé, il a compati. Sa femme Angélika m’a dit qu’eux-mêmes avaient pleuré un chien pendant trois mois et s’abîmaient dans cette douleur sans pouvoir en sortir : « Il ne faut pas laisser s’installer une telle situation, et il ne faut pas culpabiliser, ils ont aussi un destin… »
Ils m’ont présenté une jeune femme, Macha, très charmante, très jolie. Elle veut ouvrir une sorte de centre culturel avec une école alternative, pour faire vivre le pays, pour que les Moscovites, comme elle installés ici, y trouvent un intérêt et un endroit où instruire leurs enfants, quand le système scolaire habituel ne leur convient pas. Je l’intéresse beaucoup, pour l’enseignement du français, aux enfants comme aux adultes. Je ne meure pas d’envie de travailler, mais nous avons une conception commune de l’apprentissage, naturel, organique, créatif, avec une motivation sensible. D’autres français pourraient prendre place dans un tel projet, soit au sein de l’école, soit dans les ateliers ouverts aux adultes et aux enfants : tout pourrait être proposé, cuisine française, théâtre en français, tout ce qui pourrait faciliter l’apprentissage au travers d’activités motivantes. De plus, j’ai tout de suite pensé que Sacha Joukovski et sa femme, qui voudraient s’installer à Pereslavl, pourraient dans le cadre de ce projet faire ce qu’ils faisaient à Moscou dans leur maison de la culture, transmettre les jeux, comptines, chants et danses traditionnels. Skountsev pourrait venir y tenir des stages d’une semaine ou plus, ou moins, selon ses besoins. Micha pourrait s’inscrire là dedans aussi, avec sa méthode d’approche de la musique par tout le corps. J’avais justement envie de participer à quelque chose de ce genre, qui construise l’âme des gens, la mette en relation avec son environnement et son arrière-plan culturel particulier.
Je ferai certainement un atelier pour les petits avec des activités manuelles et artistiques, des chants, des contes, en français, comme à la maternelle. J’en ferai un aussi pour les adultes, elle en voudrait quatre, cela me paraît beaucoup, mais en tous cas, la chose mérite réflexion.
Je pense que dans le naufrage en cours, des Français émigrés pourraient jouer un peu le rôle, dans l’immense empire eurasiatique russe qui se dessine et résistera probablement à la tempête, des docteurs de Constantinople réfugiés à Venise, lorsque la civilisation byzantine avait été effacée par l’invasion turque. Apporter ce qu’il restera de leur civilisation disparue. Car naturellement, ceux qui éprouvent le besoin de partir sont ceux qui en sont porteurs et qui sont désormais complètement minoritaires. Les autres s’en fichent complètement, sinon, ils ne suivraient pas le joueur de flûte des banquiers prêt à les vendre à n’importe qui.


dimanche 7 mai 2017

Passage de montgolfières


Dès que les beaux jours arrivent, le ciel de Pereslavl est hanté par les montgolfières, pour quelqu'un dont une partie des ancêtres vient de la ville d'Annonay, où elles furent inventées, c'est une sorte d'étrange réminiscence,
Retour au monastère Fiodorovski, avec la réponse du monastère de Solan, très appréciée de l'higoumène Varvara, qui m'a bénie avec majesté et offert un livre. La soeur Larissa me materne dans l'église, me trouve une place assise, me fait conduire au réfectoire, où des portraits d'évêques et de métropolites nous regardent manger en silence. A l'office, on a chanté le trisaghion en grec. Il me semble que grâce à l'icône byzantine d'Andronic Paléologue, et de saint Théodore Stratilate patron du monastère, la Grèce est ici à l'honneur.
Après le repas, je rejoins la soeur Larissa dans son petit café, qui a maintenant une terrasse, avec deux tables et des chaises, le cosaque qui garde les lieux s'y assied au soleil, car le vent est glacial. Une soeur m'explique: "De l'arctique jusqu'à Rostov sur le Don, il n'y a aucun relief, alors le froid déferle, il s'arrête juste aux montagnes qui protègent le sud de la Crimée."
On annonce de la neige pour demain.
Soeur Larissa me pose plein de questions sur mon itinéraire, je lui raconte que le père Placide m'a poussée à partir, tant que j'avais encore des forces: "Si j'étais plus jeune, je fonderais un monastère en Crimée pour la future émigration française, pour nous, c'est la fin." Nous convenons toutes les deux que les démons qui détruisent en ce moment la,France sont également à l'oeuvre en Russie, et que leurs procédés, leurs techniques et leurs soutiens occultes sont les mêmes: "Le Christ nous l'a bien dit, il ne restera plus qu'un petit troupeau". En effet, mais quel naufrage, voir périr tout ce qu'on aime, voir salir et calomnier tout ce qu'on vénère, voir partout triompher le vice et l'infamie, quelle constante douleur...
Je peins les murs, je bricole, cela m'épuise. La peinture me fait penser à l'histoire du pain pour finir le fromage . Quand le pain est fini, on en reprend pour le fromage, et quand le fromage est fini, on doit en reprendre pour finir le pain. Donc je fais les murs, et quand je viens fignoler les finitions, je déborde forcément sur les murs, alors je fais des retouches qui elles-mêmes débordent sur les finitions... Pendant ce temps-là, le chiot ne sait quelle bêtise inventer, vole les torchons de la cuisine, les pantoufles, traîne les balais. Il est en pleine forme... Presque aussi casse-pieds qu'un enfant.

Ma cuisine prend tournure

samedi 6 mai 2017

D'où vient Tobie?


Ma voisine d'en face m'a entreprise alors que j'allais faire des courses. Elle trouve que j'ai l'air d'une excellente femme, et que ce genre de choses se voit tout de suite. Elle m'a posé des tas de questions, puis, sa curiosité satisfaite, m'a appris qu'un second chiot était arrivé dans le coin, roux celui-ci, et qu'il avait été pris par une autre voisine, pour un ami de la campagne qui avait "besoin d'un chien", ce qui me fait redouter qu'il le collera à la chaîne, comme beaucoup de pauvres animaux que je vois alentour. Je me demande ce qui s'est passé avec la portée de Tobie, je dirais qu'il a eu de la chance.
La voisine m'a alors raconté que la femme de l'ancien propriétaire de ma maison avait été tuée par son chien, qu'elle maltraitait. Il reste sur mon terrain la misérable niche du pauvre animal et le crochet auquel il était attaché. Instruite de cette histoire, je vais tout virer et organiser aussi vite que possible la bénédiction de ma maison.
Curieusement, j'ai déjà occupé un lieu chargé, mon ancien appartement, à Moscou. C'était celui d'un mage audiovisuel qui s'en servait pour ses consultations et qui, disait-on, aurait fait assassiner le fils du précédent propriétaire!
J'ai vu, en parlant à la voisine, tout un petit troupeau de chèvres et de moutons, très familiers. Contrairement à l'idée reçue, l'un des moutons faisait preuve d'une indépendance aventureuse, et se fichait complètement des injonctions de sa bergère.
Tobie est un peu casse-pieds, mais je crois qu'il sera quand même assez calme, plutôt débonnaire.
Je suis allée dans un magasin de fournitures pour travaux divers, afin d'acheter une planche de 1 m sur 30 cm. Toute une aventure. Il faut payer, et aller au dépôt derrière récupérer l'objet, ce que j'ai fait hier et avant-hier, avec le ticket de caisse. Mais aujourd'hui, on me dit qu'il faut deux tickets, et je n'en ai qu'un, pourquoi en faut-il deux? Le week-end, c'est comme ça, il y a un gardien, et il faut montrer le deuxième ticket pour pouvoir sortir. Je retourne au magasin, et revient au dépôt, crevée et pourrie d'arthrose. Et je repars en voiture, aucun gardien à l'horizon, je me demande encore ce que c'était que cette brimade.

La sinistre niche

jeudi 4 mai 2017

L'après Doggie

Ilya m'a confirmé que mon permis de séjour serait prêt assez rapidement et que je n'aurai sans doute pas à revenir pour renouveler mon visa. Je jardine le jour au soleil, mais ce n'est pas la grande chaleur, le soir il fait franchement froid, et je ne sais pas comment rallumer mon chauffage.
D'avoir pris le chiot me donne des angoisses et ne me console pas de la mort de Doggie, que je trouve si injuste, stupide et irréparable. Ce chien ne me donne pas du tout l'impression d'étonnante intelligence et de complicité subtile que je trouvais chez mes deux spitz. C'est un benêt de chien qui promet d'être encombrant, maladroit et casse-pieds. Jusqu'à Joulik et Doggie, je préférais les chats aux chiens, mais les spitz ne sont pas des chiens comme les autres.
Aujourd'hui, cependant, l'animal est plus calme, plus joyeux, il cherche à jouer avec les chats, explore le jardin, dort à mes pieds. Dany me dit qu'un gardien peut être utile à une femme seule.
Le jardin va me demander beaucoup de travail, et encore, j'ai décidé de m'accommoder le plus possible des choses telles qu'elles sont. Mais le jardinage est une occupation thérapeutique, comme la musique. Moi qui suis plutôt flemmarde, je peux passer des heures à méditer l'endroit où je vais planter, pour que ce soit harmonieux, et en même temps viable... a tel endroit, l'arbuste irait très bien, mais il ne serait pas à l'abri du vent, ou trop à l'ombre, je plante, mais aussi je transplante. Les chats apprécient beaucoup. Ils sont plus heureux qu'à Cavillargues, ils ont de l'espace, peuvent chasser, être dehors avec moi, et ne se disputent presque plus. Blackos, qui avait disparu en mon absence, est revenu, d'abord timidement, puis il a repris possession des endroits les plus confortables.
En allant faire des courses, j'ai vu qu'une des isbas s'était dotée d'une palissade fort originale, du genre Caran d'Ache:


Des artistes, peut-être?


Le casse-pieds s'appelle Tobie.