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mercredi 15 mars 2017

Avec Ilya à Yaroslavl


L'ours est l'emblème de Yaroslavl, car c'est après
avoir triomphé d'un ours que Yaroslav le Sage a décidé 
de fonder la ville à l'endroit de cet exploit.

Ilya, le gentil comptable, m'a emmenée au service de l'immigration à Yaroslavl. Nous avons traversé d'immenses étendues de bouleaux et de sapins aux pieds desquels s'étend encore une neige lépreuse, dans une lumière omniprésente et surnaturelle, des villages avec encore de jolies isbas, celui où l'on vend sur le bord de la route d'abominables peluches géantes aux couleurs flashy, probablement made in China, et celui où l'on vend des tresses d'oignons qui sont, pour une raison inexplicable, les meilleurs de la région. Puis nous avons vu de loin le kremlin de Rostov le Grand, un amoncellement de clochers et de bulbes, puis avant Yaroslavl, une raffinerie géante. Ilya m'expliquait que sa grand-mère paysanne n'avait jamais aimé le pouvoir soviétique: "Les gens s'en sortaient plutôt bien, avant la révolution, son père avait des terres, du bétail, sept filles, et tout le monde vivait, il est vrai, en travaillant dur, mais quand les bolcheviques sont arrivés au pouvoir, on a tout pris à tout le monde. Moi, je suis pour la petite économie traditionnelle, pour que tout le monde vive de son travail honnête, dignement et modestement, pour qu'on nous laisse tranquilles. Nous sommes arrivés ces dernières décennies à avoir quelque chose à nous, peut-être pas autant qu'en Europe, mais c'est la première fois depuis presque un siècle que nous travaillons pour nous, et les gens ont une peur terrible de perdre le peu qu'ils ont.
- Oui, ils sont coincés entre les libéraux qui voudraient les vendre au capitalisme international et les néo staliniens qui voudraient restaurer l'URSS... Ce qui prouve bien que tout cela fonctionne en symbiose. Et Poutine?
- S'il n'était pas là, ici ce serait l'Ukraine, mais évidemment, parfois, on voit prendre des mesures qu'on a du mal à comprendre, et je me demande si, dans tous les pays, ils ne sont pas liés par des accords financiers secrets dont nous n'avons pas connaissance et qui permettent de nous fourguer tout à coup des lois aberrantes.
- C'est bien possible, car nous avons affaire à une toile d'araignée, à un cancer universel."
Le service d'immigration est dans une arrière-cour boueuse, bien caché. Nous avons trouvé des gens qui attendaient, mais rien à voir avec les queues dans l'énorme usine à permis de séjour de Moscou, perdue dans un village lointain. Nous avons été reçus par une femme bienveillante qui nous a donné bon espoir, et nous allons essayer d'obtenir une entrevue avec le fonctionnaire qui décide avant mon départ pour la France. 
En sortant de là, nous avons fait un peu de tourisme, car Ilya a fait ses études à Iaroslavl, il connaît bien. J'avais déjà entrevu trois fois, notamment le quai au dessus de la Volga, déjà large et venteuse, complètement dégagée de son armure de glace. Yaroslavl est une très jolie ville, presque intacte et bien tenue, avec de ravissantes maisons du XVIII°, du XIX°, comme partout en Russie, de l'art nouveau. C'est une sorte d'Europe provinciale paisible au bout du monde, perdue dans l'immensité septentrionale, et il y fait nettement plus froid qu'à Pereslavl. Partout des églises de toutes les époques, si féeriques, et avant la révolution, il y en avait beaucoup plus. Des petits magasins aux vitrines de bon goût, des cafés, des restaurants. Nous avons d'ailleurs décidé d'aller manger ensemble, le froid et les émotions, ça creuse. 
Le café s'appelait Cuba, et la bouffe était très bonne, fraîche, j'ai même eu un menu de carême, salade verte, champignons, pommes de terre et pignons de cèdre, et du gâteau aux carottes avec de la confiture. Ilya m'a parlé de ses parents, médecins à Pereslavl. Ils vont faire du tourisme au Vietnam et ne sont pas sortis de Russie depuis les années 80. "Ils étaient partis au Laos, dans le cadre de l'aide soviétique aux pays en voie de développement. Nous avions construit là bas un hôpital splendide, comme nous n'en avions pas alors en Russie, et les médecins y étaient dix fois mieux payés que chez nous, où ils touchaient un salaire de misère, c'est d'ailleurs pour cela que mes parents sont partis, nous laissant deux ans à notre grand-mère, nous ne les voyions qu'un mois par an. C'était typique de notre politique d'alors: en mettre plein la vue aux pays sous-développés qui prenaient l'URSS pour un paradis, au lieu de faire chez nous des hôpitaux convenables et de payer les médecins normalement."
Puis il m'a parlé de son grand-père:"Il a fait toute la guerre comme cavalier, avec un sabre, comme au temps de la guerre de 14. Mais il n'est rentré qu'en 46, parce qu'on l'avait envoyé nettoyer les partisans de Bandera, en Ukraine. Un jour, il a été blessé dans un cours d'eau et se serait noyé, mais c'est son cheval qui l'a sauvé. Il s'est placé de manière à pouvoir le soulever et l'a emporté jusqu'aux habitations les plus proches. Il est parti à 19 ans pour la guerre, un beau garçon, et en 47, il avait l'air d'avoir plus de quarante ans, vous voyez ce que cela vous fait, la guerre..."
Yaroslavl, mis à part la rudesse du climat, c'est un endroit pour des Français, c'est à leur échelle, cela garde un charme désuet, une grande poésie, on a envie d'y flâner, on y verrait bien un salon de thé ou un restaurant français, ou une boutique de déco. En réalité, la ville est très grande, Ilya n'était pas très sûr, mais dans les 800 000 habitants, mais comme souvent ici, cette population est répartie sur une grande surface, sur des quartiers nouveaux, ou des quartiers de petites isbas, séparés par des bouts de forêt. Le centre historique m'a paru de la taille d'une petite ville française comme Montélimar ou peut-être Valence.


Le débarcadère et la Volga

Le kiosque du gouverneur. Il y a dans l'air quelque chose qui évoque le film
"Cruelle romance"

On appelle cette rue l'Arbat de Yaroslavl, elle est très animée en été, avec des vendeurs de tout et n'importe quoi et des artistes de rue.

café Gavroche!


                                             Romance cruelle

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