Translate

mardi 20 mars 2018

Des roseaux



Il faisait si beau, hier, que je suis allée me promener avec Rosie, malgré mon genou, mais je note une amélioration, il ne me fait plus mal la nuit. L'espoir me vient que l'acide hyaluronique hors de prix va me donner un sursis. En même temps, même avec ce secours artificiel, il me faut désormais ménager mes articulations, et peut-être m'orienter vers un autre genre de vie, plus immobile et plus recueilli.
Le soleil inondait une neige encore abondante et propre, qui ne fond pas, car les nuits restent froides. Le soleil chauffe à travers un vent frais mais radouci qui porte des chants d’oiseaux et le léger tintement froissé des roseaux. Je ne me lasse pas de ces roseaux, de leur souplesse échevelée, de leur foule gracile qui danse à petits pas d’ombre bleue sur tant de radieuse blancheur, de leurs têtes brillantes et soyeuses qui se bousculent en oscillant. C'est comme une sorte de musique visuelle, de rythme silencieux, une suite symphonique de points vibrants.
Un carillon me parvenait à travers le souffle retenu du vent : je l’ai su plus tard, c’était la fête des quarante martyrs de Sébaste et les cloches de l’église qui leur est consacrée. Dommage que je ne sois pas allée à l’office. Quel profond bonheur d’entendre ces voix de bronze traverser doucement l’azur…
Rosie courait devant moi, joyeuse. Elle est drôle, pleine de vie, et même trop pleine pour moi, libre comme l’air, une tsigane. Une louve domestique.
Je suis chiante, je n'en fais qu'à ma tête, mais je t'aime, mémé.
J’ai fait une aquarelle, assise sur la glace du lac, avec mon sac à dos comme coussin.
J’ai besoin de ces moments dans la nature, dont me privaient l’arthrose et la pâtisserie. La pâtisserie, il me faut y retourner, mais je n’en ai guère envie, j’aime bien tout le monde, mais c’est trop contraignant. Je n’arrive même pas à terminer ma traduction, qui est compliquée, car philosophique et politique, il me faut saisir la pensée de l’auteur et la restituer sans la trahir. J’en ai même la migraine.
Sur Facebook, je suis contactée par des orthodoxes africains, et je serais tout à fait bien disposée, s’ils ne se jetaient à ma tête pour avoir de l’argent, et pas seulement à la mienne, d’ailleurs. Je n'aime pas trop qu'on se jette à ma tête, car j'ai de nombreux correspondants, si chacun se lance dans une conversation privée, dès que je l'ai accepté sur ma liste, et veut m'appeler au téléphone, je ne suis pas sortie de l'auberge, laissons-nous le temps de faire connaissance. Je n’aime pas qu’on me harcèle pour obtenir du fric, d’autant plus que les occasions d’en donner sont innombrables, pourquoi en donnerais-je à ceux qui le demandent avec le plus d’assurance ? Il y a les populations du Donbass, qui en ont besoin, et un jour, j’ai envoyé cent euros pour acheter une bicyclette à des gosses, mais de ma propre initiative. Il y a les prêtres qui restaurent des églises, et là aussi j’ai banqué.  Il y a les malades qui ont besoin d’une opération ou de soins particuliers. Il y a les refuges d’animaux, où des bonnes femmes héroïques soignent la misère de nos victimes à quatre pattes. Il y a le Kossovo, la Syrie, le Yemen. Il y a les sans abri que secoure le père Théodore aux Trois Gares.  On ne sait où donner de l’obole, et certains viennent l’exiger, pourquoi passeraient-ils premiers ? A donner tant de miettes, ma galette ne ferait pas long feu et comme me le dit Xioucha, « Lolo, gardez votre argent pour vous, tous vos amis sont fauchés, et aucun d’eux ne pourra vous aider financièrement quand vous serez très vieille ».
Toujours sur Facebook, une série de commentaires aigres de descendants de Russes émigrés sur les élections russes, forcément manipulées, "soviétiques", et de considérations honteuses sur la "populace de moujiks" qui ne sait pas se tourner vers le bonheur démocratique occidental. Il est vrai qu'en effet, nous sommes vraiment un exemple à suivre, avec nos élections immaculées, notre justice impartiale et notre presse résolument honnête et pluraliste... Ces bêtises m'ont donné la nausée. Dieu sait que j'ai plaint l'émigration russe mais une partie de ses descendants semble acharnée à faire la démonstration qu'on n'avait pas eu tort de la chasser. Aujourd'hui, plus ou moins mutilée, la Russie se relève et poursuit sa route, et ces descendants, que font-ils dans leur aquarium, à part cracher du fiel comme les poulpes crachent de l'encre?






Je ne peux déjà plus photographier ni dessiner le monastère surgissant au dessus de la berge, car elle se couvre de maisons moches, bâties sans aucun souci de l'environnement, ni aucun contrôle. C'est drôle comme les maisons modernes ressemblent aux déchets de plastique dont nous couvrons partout la création de Dieu en général, et le bord du chemin que j'emprunte pour me promener en particulier. Autrefois, les constructions tenaient compte du relief, des autres constructions, et en premier lieu des églises, en plus d'être faites avec des matériaux naturels et décorées avec amour et avec goût par leurs occupants eux-mêmes. Maintenant, elles ressemblent à des emballages de yaourts géants et criards qu'on balance n'importe où. Elles sont envahissantes et mal élevées, banales et agressives. Il nous faut de plus en plus détourner les yeux, et focaliser notre regard sur ce qui subsiste. Là où cela deviendra vraiment terrible, c'est le jour où il ne subsistera plus rien.




2 commentaires:

  1. Bonjour,

    Vos textes me font l'effet d'un chat qui ronronne : ils me calment, et m'emmènent au delà de cet occident dont je vois, comme vous, la vanité et la course vers son destin fatal.

    Ce n'est pas la spiritualité qu'on détruit, par ici, c'est la société même dans ses fondements, ses valeurs, et son ciment. Et ce n'est pas un accident.

    Bonne continuation !

    Philippe

    RépondreSupprimer
    Réponses
    1. Merci Philippe, en effet, c'est une destruction fondamentale et planifiée, à laquelle la Russie, malgré tout, échappe encore. Sa résistance est, à mes yeux, notre unique chance de salut.

      Supprimer