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lundi 19 mars 2018

Doma


Poutine a été triomphalement élu avec une taux de participation record, douze pour cent des gens ont voté pour l’oligarque à moustache stalinienne, je trouve cela très rassurant.
Xioucha et Igor m’ont ramenée chez moi hier. Je leur ai montré le lac, du haut de la berge escarpée. Il reste beaucoup de neige bien blanche, mais le soleil est vif, le ciel très bleu, la température douce, et le lac encore gelé miroitait comme une surface de verre opalescent. Xioucha a voulu me faire descendre avec elle la pente sur une planche : « Alors, Lolo, est-ce que cela fait du bien de se rappeler son enfance ? »
Les chats m’ont fait un accueil grandiose, et Rosie de même. Elle n’a fait aucune difficulté pour grimper dans la voiture. Mais tout ce petit monde a commencé aussitôt à m’empoisonner la vie. Rom ne cessait de me harceler de miaulements idiots : il n’est jamais content de ce que je lui donne et exige autre chose, après avoir piraté les écuelles des autres chats, et cela pendant des heures. Il déteste la chienne, grogne sur elle en permanence, ce qui provoque d’inévitables réactions. La chienne ne cesse de vouloir entrer ou sortir. J’ai trouvé, bien entendu, une maison dégueulasse, poils et pipis de chats partout. Au moment d’essayer de dormir, j’avais sur mon lit la compétition des chats pour être au plus près de moi et au plus loin les uns des autres, plus ce dingo de Rom qui poussait des feulements si la chienne approchait et celle-ci est presque incapable de se coucher et de dormir tranquillement, c’est une agitée perpétuelle, de sorte que j’ai fini par engueuler tous mes parasites, en songeant que jamais je ne criais sur Doggie ou sur le chien de ma sœur.
Violetta m’a invitée à prendre le thé. Elle est potentiellement un peu chiante, mais que faire ? Elle est très gentille, elle s’est occupée de mes chats avec scrupules, elle a même déneigé devant chez moi, son fils a fait démarrer quelquefois la voiture pour que la batterie ne se vide pas. Je crois qu’il me faudra envisager un portillon entre leur terrain et le mien…
Elle se félicitait du résultat des élections. «Je ne sais pas ce qu’ils ont tous en Europe à s’acharner sur nous de cette manière. Ils déploient des troupes pour « protéger » les pays de l’est, mais qu’en avons-nous à faire, de ces pays de l’est, et même de l’Ukraine ? Bon, en Ukraine, le problème, c’est qu’il y a beaucoup de Russes, mais que les Polonais prennent Lvov et la partie ouest et qu’on en finisse ! »
Mis a part tous ces détails, je suis contente d’être rentrée, je me sens soulagée, je me sens chez moi, dans ma capsule spatiale coupée de mon passé, un passé qui s’effiloche derrière moi dans le gouffre du temps et qui me reste très cher mais me tétanise, me transforme en la statue de sel biblique de la femme de Loth se retournant sur Sodome et Gomorrhe, une statue de sel pleine de larmes.  « Laissez les morts enterrer les morts »…
La photo, faite par Micha l’iconographe, de moi tenant sa création provoque de nombreuses réactions, parfois presque agressives, mais vite désarmées. Cependant, et j’en parlais à Claire, que j’ai vue dimanche, cette « gloire » me fait souvent peur, je suis touchée et je pense que c’est peut-être mon rôle que de témoigner auprès des Russes de mon amour pour leur civilisation et leur mentalité, qu’ils ont souvent tendance à mépriser, et aussi de susciter l’intérêt et l’amour des Français, qui en ont une idée fausse, mais je me sens très exposée et cela me donne le vertige. Cela n’est rien auprès des réactions que pourrait susciter la publication de mon étrange roman sur Fédia Basmanov et Ivan leTerrible.  Claire me disait qu’il pourrait déplaire à ceux qui en font un saint et déplaire à ceux qui en font un monstre. Oui, de la même manière que je peux déplaire aux libéraux comme aux communistes, n’étant ni d’un côté ni de l’autre. Mais c’est le plus profond de la Russie qui m’a fascinée et pas sa déchéance dans les conneries politiques dont elle avait horreur à juste titre.
Quand Xioucha a voulu remettre mon manuscrit au père Dmitri pour qu’il le transmette à une éventuelle traductrice, le directeur d’une maison orthodoxe qui assistait à la chose, et auquel elle  exposait le sujet en deux mots, s’est exclamé : «Ah Ivan le Terrible, surtout pas ! »
C’est malin, vraiment. Quelle curiosité, quelle ouverture d’esprit. Si ça se trouve, il me faudra recourir à l’édition sur Internet, comme je l’envisage en France. Dès que j’ai affaire à un éditeur, je me sens rétrécir comme l’huître sous le citron. Sale race. Contents d’eux, pleins d’aprioris, idéologiques ou commerciaux, oui, m’en passer est mon rêve, livrer son âme à des gens pareils c’est comme la livrer à des journalistes. Il m’est plus facile de l'offrir directement aux lecteurs. 
Claire a trouvé quelque part que la veuve de Fédia Basmanov s’était remariée, et cela m’a fait mal pour lui, je crois qu’il va me falloir me faire soigner, à l’issue de toute cette aventure ! Je vais recommencer à peindre des icônes.
Les chats ont retrouvé leur patronne et leurs habitudes

Pour l'instant, j'ai mis l'icône de Micha
à côté de l'Alexandre Nevski de Michèle.
Je pense qu'il me faudra une étagère de plus.


Rencontre de Rosie avec une corneille facétieuse








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