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lundi 27 mars 2017

Le joueur de flûte



Depuis deux jours, je me prends de bec avec des libéraux sur différents fils de discussion russes. Ici aussi, je me trouve entre deux chaises, comme l'était d'ailleurs Soljénitsyne, je ne suis ni néostalinienne, ni libérale, je tombe dans la case orthodoxe monarchiste souvent en butte à l'hostilité des deux. Partir en Russie pour y retrouver ce genre de zozos prouve que l'ennemi est une toile d'araignée infiltrée partout. Je ne pensais pas qu'on avait eu à ce point le temps de pourrir les gosses en Russie. Pourtant, j'avais déjà remarqué au lycée qu'on les élevait hors sol, du moins dans les milieux qui m'amenaient leurs enfants dans cette école prestigieuse... J'invitais des ethnomusiciens, et les Français participaient volontiers, alors que les petits Russes prenaient des airs méprisants. Nikita Mikhalkov a démontré dans ses émissions comment la chose était menée, par les mêmes personnes qui, chez nous, ont défait la France.
Comme les européens connaissent mal la Russie, les Russes connaissent mal l'Europe et ont toutes sortes de clichés dans la tête. Dans "ce pays", pour les libéraux de Moscou et les gosses détachés de leur substrat millénaire, tout est merdique, en Europe, tout est merveilleux. Les médias, ou du moins une partie d'entre eux, contribuent à ce mirage. Un intellectuel trouve que les manifs illégales de Navalny sont une bonne façon de socialiser les enfants, de leur donner du sens civique et de les détourner de leur égoïsme et de leur écran d'ordinateur. Ce qui serait à mes yeux une bonne socialisation, ce serait de pratiquer leur folklore, le folklore se pratique en communauté, en relation étroite les uns avec les autres, avec la nature environnante, avec nos ancêtres, voilà qui apporterait vraiment quelque chose aux enfants, les détournerait de leur écran ou le leur ferait utiliser de façon plus intelligente. Sans compter toute oeuvre commune ou même combat commun concret, c'est-à-dire lutter dans son quartier ou sa maison contre la corruption ou la brutalité des fonctionnaires, pas à pas, pendant des mois, en convaincant les autres, en allant trouver différentes instances. Ou restaurer une église, ou bien secourir les gens dans le besoin. Pas en défilant au coup de sifflet d'un aventurier au service de la CIA d'une manière complètement irresponsable, au risque de déstabiliser son pays à un moment particulièrement dangereux pour lui.
Quand je vois l'ampleur du naufrage général, le mal qui a été fait à nos différents peuples, au nom du progrès, du bien être matériel et des lendemains qui chantent, je suis prise de vertige. Que de supercheries sanglantes avons-nous vu passer, en ce siècle qui va de la première et sinistre année 17 à notre année 17 présente, peut-être le début de la dernière et catastrophique conflagration dont nous ne nous remettrons pas. Et rien ne nous a ouvert les yeux, on voit toujours les mêmes foules hagardes suivre toujours les mêmes joueurs de flûte dans la rivière où ils vont les noyer.
Que Dieu nous vienne en aide.
                                                                            





dimanche 26 mars 2017

Petit bilan

Cela fait des mois que durent mes travaux, qui ont commencé avant mon arrivée, je ne pouvais pas faire autrement, mais c'est toujours risqué. Des mois que je vis dans un chantier. Je commence à installer vaguement quelques pièces, la cuisine, et la pièce à vivre pour les invités, la partie à louer ou à prêter. Pour l'instant, elle me sert de refuge, j'y travaille, loin des artisans qui écoutent de l'horrible musique du matin au soir à la radio, je ne sais pas comment ils n'en deviennent pas fous. La plupart des meubles que j'ai, c'est de la récup en plus ou moins bon état.
J'explore le jardin, qui ressemble à une décharge, il faudra faire venir un camion pour enlever tout ça. Le terrain est très inégal. On y voit courir des caniveaux pleins d'eau, j'ai l'impression que je vais vivre dans une Camargue froide. Mais les moustiques s'adaptent partout. Il paraît que dans la journée, ils nous fichent la paix. C'était le cas à Krasnoïé, et ils n'aiment ni le vent, ni le soleil. Je me trouve devant deux options, faire venir un jardinier pour tout mettre de niveau, ou bien utiliser le terrain comme il est, c'est un challenge...
Je commence à concentrer une partie des ordures contre la palissade, pour dégager le reste. On a balancé dans un coin la sciure qui servait d'isolant au grenier, et si on l'avait mise de côté, j'aurais pu l'utiliser pour les chats, mais en l'état actuel des choses, il n'y a plus qu'à fertiliser le terrain avec, le problème est qu'elle est mélangée avec les sacs en plastique explosés qui la contenaient. Le terrain est d'ailleurs sûrement fertile, une belle terre noire, et c'est pas l'eau qui manque...
Je ne pourrai faire de jardin d'agrément que devant la maison, en débordant un peu au nord-ouest, au sud, je n'ai qu'une bande de terrain, et je dois faire une haie entre les voisins et moi. J'aurai la place pour un petit potager en carrés au sud. au nord, eh bien c'est le nord, je ferai ce que je pourrai, et j'essaierai de cacher la baraque du voisin...
C'est la pièce de la partie à prêter ou à louer, qui pourra me servir de salle à manger si j'ai beaucoup de monde, ou de dortoir.
Pour l'instant, j'y travaille. L'étagère bizarre est un dessus de bahut, trouvé sur place.

bahut soviétique de base, que j'ai mis en remplacement
d'un autre bahut du même style très abîmé.

le seul endroit, au sud, où je pourrai faire un potager

La partie devant la maison, à l'ouest, on doit pouvoir y faire un petit jardin

La maison du voisin, au nord, en vrai, elle est beaucoup plus obsédante.

vendredi 24 mars 2017

Les "gens intelligents" n'ont pas d'ancêtres


Une chanson du fin fond des siècles dont nous savons si peu de choses, nous savons qui était tsar, ce qu'on construisait, ce qu'on détruisait, et nous ne savons pas comment on vivait, et ce qu'on pensait, de quoi on souffrait et de quoi on avait peur, de quoi on se réjouissait et ce qu'on espérait. Nous connaissons seulement sur quoi l'on faisait des chansons. Cette étonnante culture du chant ethnographique russe, qui ne ressemble à aucune autre, magique, chatoyante avec l'enchantement de ses demi tons, de son changement de rythme, quand on chante comme on respire, une mélodie tantôt espiègle, tantôt plaintive qui retourne l'âme et l'emplit à nouveau de lumière. Un homme intelligent et très cultivé m'a demandé aujourd'hui: "Et pourquoi conserver tout cela?" Comment, pourquoi? ... C'est à moi, c'est ma richesse, qui ne se chiffre en aucune monnaie, je la tiens de ces arrière-grands-mères dont je ne connais même plus le nom, mais dont l'âme vit dans ces chansons, magnifiques et éternelles.
Nathalia Terentieva. Ecrivain.

Песня из такой глубины веков, о которой мы мало что знаем - знаем, кто был царем, что строили, что ломали, и не знаем, как жили, о чем думали, о чем страдали и чего боялись, чему радовались, на что надеялись. Знаем лишь, о чем пели. Эта удивительная культура русского этнического пения, ни на что не похожая, волшебная, переливчатая, с магией полутонов, сменой ритма, когда поют, как дышат, то озорная мелодия, то плачущая, переворачивающей душу и снова наполняющая ее светом. Один умный и начитанный человек спросил меня сегодня:"А зачем это все сохранять?" Как - зачем?.. Это мое, это богатство, не выражаемое ни в какой валюте, это досталось мне от тех прапрабабушек, имен которых я даже не помню, но чьи души живут в этих песнях, прекрасных и вечных. 



J'ai trouvé ce poste dans Facebook, aujourd'hui, et j'ai tenu à le faire figurer dans les chroniques, car il illustre tout ce que je ressens et essaie de dire sur le sujet, et je ne saurais exprimer la colère et l'amertume que m'inspirent ces gens "intelligents et cultivés" qui ont perdu leur âme russe dans une culture de musée et de salles de conférences. Leur âme ne plonge plus ses racines dans l'extraordinaire substrat nourricier de cette tradition, sans laquelle, d'ailleurs, la culture distinguée qu'ils révèrent n'existerait sans doute pas, car les grands créateurs du passé baignaient dedans, elle était dans l'air qu'ils respiraient et le lait de leurs nourrices. Rimsky-Korsakov écrivit la grand Pâque russe après avoir vu un moujik danser au son des carillons. Stravinsky était fasciné par le chant populaire et son oeuvre en a été profondément marquée. Mais ces intellectuels de broussaille cultivés dans les amphithéâtres n'ont que mépris pour ce qui a transfiguré la vie de générations de gens à qui ces chants nous relient, ces chants qui nous mettent en prise avec toutes les dimensions du monde.

mercredi 22 mars 2017

Un filleul des 40 martyrs

La rivière Troubej
Hier soir, j'ai rencontré des amis de Moscou, qui m'ont appelée toute la journée sans arriver à me joindre, car je n'entends pas mon portable et le laisse se décharger n'importe où. Il s'agit du père Valéri et de sa femme Olga, de Serioja Loshakov, de sa femme Tania et de leur fils Timofeï. Ils vont voir aujourd'hui la croix miraculeuse de Godenovo. Le père Valéri sert dans la paroisse de mon père Valentin. Serioja est architecte, Tania fait des icônes émaillées, Timofeï est photographe. C'était la fête du père Valéri, car son saint patron faisait partie de ces 40 martyrs de Sébaste dont je parlais hier. En son honneur, il est allé visiter l'église dont je parlais également. Voici les photos de sa femme Olga. L'église des 40 martyrs et Pereslavl au printemps.
Le père Valéri est un grand amateur de tableaux. Sa femme est peintre, il est ami avec les Soutiaguine, Alexandre Chevtchenko. C'est un homme affable et délicieux qui prend une grande part à tout ce qu'on lui dit en confession. A un moment où j'étais choquée par ce qu'on me racontait de certaines attitudes de croyants ou de prêtres peu miséricordieux, il s'était exclamé avec douleur: "Que puis-je vous dire? Tout cela est vrai, pardonnez-nous au nom du Christ!" Ce qui m'avait délivrée de ma révolte et m'avait fait appréhender que l'Eglise sainte est cette communauté de pécheurs que le Christ réunit par son eucharistie, communauté où certains sont plus lumineux et plus aimants que d'autres, mais où nous nous perdons, nous repentons et nous rachetons ensemble.
C'est lui qui m'avait également raconté avec beaucoup de verve l'anecdote suivante: un de ses amis peintres de saint Pétersbourg va se confesser à un sévère hiéromoine: "Père, j'ai pris l'habitude de boire un verre de bière avant d'aller me coucher.
- Comment? s'exclame le hiéromoine. De la bière, tous les soirs? Mais mon cher, vous n'y pensez pas! Mais c'est très mauvais! La bière, on ne sait pas comment c'est fabriqué, là bas, en Occident. Non, je ne saurais bénir une pareille habitude, je vous conseille plutôt 50 grammes de vodka, c'est dans notre tradition..."

L'église des 40 martyrs de Sébaste

intérieur et fresque des 40 martyrs

intérieur de l'église

Le père Valéri et sa "matouchka" Olga

au café Troïka
Le père Valeri

Mon petit chien était de la fête

Toutes les photos sont d'Olga Kireïeva

mardi 21 mars 2017

Les 40 martyrs de Sébaste


Il y a, à Pereslavl, une église consacrée aux 40 martyrs de Sébaste, ces 40 jeunes guerriers qui ont préféré geler sur un lac en hiver que de renier le Christ. L'église des 40 martyrs de Sébaste a été construite par les pêcheurs de Pereslavl, à l'endroit où la rivière Troubej se jette dans le lac Plechtcheïevo.
C'est aujourd'hui la fête des 40 martyrs de Sébaste.
La tradition veut ici qu'on fasse des petits gâteaux en forme d'oiseaux et que l'on chante pour faire revenir les alouettes, et le printemps:

 Petites alouettes, petites voyageuses,
Volez jusqu’à nous !
Apportez-nous le beau printemps,
Apportez-nous l’été brûlant
Nous en avons assez de l'hiver
Il nous a tout mangé… [1]




[1] Жоворонушки, перепленушки
Прилетите к нам
Принесите нам
Весну красну
Лето теплое
Нам зима надоела
Весь корм поела


Quand j'étais instit au lycée français, nous faisions cuire de tels oiseaux en pâte à sel et nous les jetions dans la neige en chantant cette invocation. Le fokloriste qui venait nous apporter sa tradition nous avait fait chanter cela avec des sifflets globulaires, un instrument qui remonte à la préhistoire et qui a disparu en France. 

Voici ce que cela donnait:

classe de MS du lycée français de Moscou avec Alexandre Joukovski

Les 40 martyrs de Sébaste




dimanche 19 mars 2017

Singes savants

A Moscou, répétition avec les charmantes petites dames orthodoxes et Skountsev. Puis j’ai suivi Skountsev à l’Arbat, où nous avons dîné de pirojkis de carême et travaillé les gousli. C’est difficile. Mais je suis passionnée, autant que par les gousli, par tout ce qu’il me raconte sur la tradition populaire, et par ces chants qui me font pénétrer dans une autre dimension, où je retrouve le monde qui est le mien, et il me semble alors que je prépare celui où j’irai là bas, après ma mort et mon rajeunissement définitif dans l’éternité. En chantant le tropaire de Pâques vieux-croyant, ou les vers spirituels, j’entrais en contemplation des reproductions d’icônes anciennes qui ornent la bibliothèque de l’église saint Dimitri Donskoï, jamais elles ne m’avaient paru aussi présentes et je voyais ce qui les différenciait des icônes modernes pseudo-traditionnelles : leur spontanéité, leur transparence, leur vie, leur force. Je me sentais profondément reliée à tout cela, partie intégrante. Avec Skountsev, j’ai chanté une complainte qu’il accompagnait sur une de ses vielles à roue très primitives, bricolées, grinçantes et plaintives, auxquelles son talent donne un son inimitable, et ce vieux chant français s’harmonisait complètement avec cet instrument russifié, le résultat me ramenait, avec ma France ancestrale, à l’origine de tout cela.
J’avais lu avant de venir des commentaires d’une rare méchanceté et d’une rare bêtise, très comparables à celles des ukrainiens néonazis, sous une publication qui pleurait Nicolas II et son abdication forcée. Le centenaire de toute cette infamie réveille des démons qu’on aurait pu croire endormis. Mais ce centenaire, avec ce qui se passe en Europe et chez nous, et qui est le fait de la même méchanceté et de la même bêtise, de la même sinistre astuce, au moyen des mêmes supercheries éhontées, me paraît revêtir une signification de plus en plus fatale et mystique, en un mot, eschatologique.
Un peu plus tard, j'ai vu une émission de télé où de petits singes savants chantaient en minaudant des chansons américaines, pour satisfaire la vanité de leurs parents en transes: dressés de A à Z, transformés en petites poupées dénuées de tout naturel. Comme le dit mon amie Dany: "elles ne chantent pas mal, dommage qu’elles donnent l'impression d'avoir eu déjà plusieurs amants dans leur vie." Et il m'est venu une fois de plus à l'esprit qu'après la catastrophe révolutionnaire qui, partie de France, ou même auparavant d'Angleterre, a contaminé la planète entière, avec tout ce qu'elle a inoculé à chaque pays, on se trouve devant des sociétés cassées qui ont bien du mal à recoller les morceaux: il y a ce qui subsiste du peuple, enraciné dans ses traditions, ce qui résiste, et qui peut être appelé ici russe et français chez nous, et puis le mutant mondialiste consumériste qui ne sait plus comment il s'appelle et qu'on peut croiser comme les vaches pour obtenir une meilleure sélection, dans l'optique des banquiers et des idéologues, associés pour tout détruire et tout corrompre.



Petit singe savant américanisé, encore une qui prendra les chants de
ses ancêtres pour de la musique arabe.




enfants russes qui s'éclatent à chanter avec naturel





Et enfin, au niveau professionnel, enfant russe doué d'un réel talent original et vrai, et d'une voix hors du commun, Maxime Trochine:


mercredi 15 mars 2017

Avec Ilya à Yaroslavl


L'ours est l'emblème de Yaroslavl, car c'est après
avoir triomphé d'un ours que Yaroslav le Sage a décidé 
de fonder la ville à l'endroit de cet exploit.

Ilya, le gentil comptable, m'a emmenée au service de l'immigration à Yaroslavl. Nous avons traversé d'immenses étendues de bouleaux et de sapins aux pieds desquels s'étend encore une neige lépreuse, dans une lumière omniprésente et surnaturelle, des villages avec encore de jolies isbas, celui où l'on vend sur le bord de la route d'abominables peluches géantes aux couleurs flashy, probablement made in China, et celui où l'on vend des tresses d'oignons qui sont, pour une raison inexplicable, les meilleurs de la région. Puis nous avons vu de loin le kremlin de Rostov le Grand, un amoncellement de clochers et de bulbes, puis avant Yaroslavl, une raffinerie géante. Ilya m'expliquait que sa grand-mère paysanne n'avait jamais aimé le pouvoir soviétique: "Les gens s'en sortaient plutôt bien, avant la révolution, son père avait des terres, du bétail, sept filles, et tout le monde vivait, il est vrai, en travaillant dur, mais quand les bolcheviques sont arrivés au pouvoir, on a tout pris à tout le monde. Moi, je suis pour la petite économie traditionnelle, pour que tout le monde vive de son travail honnête, dignement et modestement, pour qu'on nous laisse tranquilles. Nous sommes arrivés ces dernières décennies à avoir quelque chose à nous, peut-être pas autant qu'en Europe, mais c'est la première fois depuis presque un siècle que nous travaillons pour nous, et les gens ont une peur terrible de perdre le peu qu'ils ont.
- Oui, ils sont coincés entre les libéraux qui voudraient les vendre au capitalisme international et les néo staliniens qui voudraient restaurer l'URSS... Ce qui prouve bien que tout cela fonctionne en symbiose. Et Poutine?
- S'il n'était pas là, ici ce serait l'Ukraine, mais évidemment, parfois, on voit prendre des mesures qu'on a du mal à comprendre, et je me demande si, dans tous les pays, ils ne sont pas liés par des accords financiers secrets dont nous n'avons pas connaissance et qui permettent de nous fourguer tout à coup des lois aberrantes.
- C'est bien possible, car nous avons affaire à une toile d'araignée, à un cancer universel."
Le service d'immigration est dans une arrière-cour boueuse, bien caché. Nous avons trouvé des gens qui attendaient, mais rien à voir avec les queues dans l'énorme usine à permis de séjour de Moscou, perdue dans un village lointain. Nous avons été reçus par une femme bienveillante qui nous a donné bon espoir, et nous allons essayer d'obtenir une entrevue avec le fonctionnaire qui décide avant mon départ pour la France. 
En sortant de là, nous avons fait un peu de tourisme, car Ilya a fait ses études à Iaroslavl, il connaît bien. J'avais déjà entrevu trois fois, notamment le quai au dessus de la Volga, déjà large et venteuse, complètement dégagée de son armure de glace. Yaroslavl est une très jolie ville, presque intacte et bien tenue, avec de ravissantes maisons du XVIII°, du XIX°, comme partout en Russie, de l'art nouveau. C'est une sorte d'Europe provinciale paisible au bout du monde, perdue dans l'immensité septentrionale, et il y fait nettement plus froid qu'à Pereslavl. Partout des églises de toutes les époques, si féeriques, et avant la révolution, il y en avait beaucoup plus. Des petits magasins aux vitrines de bon goût, des cafés, des restaurants. Nous avons d'ailleurs décidé d'aller manger ensemble, le froid et les émotions, ça creuse. 
Le café s'appelait Cuba, et la bouffe était très bonne, fraîche, j'ai même eu un menu de carême, salade verte, champignons, pommes de terre et pignons de cèdre, et du gâteau aux carottes avec de la confiture. Ilya m'a parlé de ses parents, médecins à Pereslavl. Ils vont faire du tourisme au Vietnam et ne sont pas sortis de Russie depuis les années 80. "Ils étaient partis au Laos, dans le cadre de l'aide soviétique aux pays en voie de développement. Nous avions construit là bas un hôpital splendide, comme nous n'en avions pas alors en Russie, et les médecins y étaient dix fois mieux payés que chez nous, où ils touchaient un salaire de misère, c'est d'ailleurs pour cela que mes parents sont partis, nous laissant deux ans à notre grand-mère, nous ne les voyions qu'un mois par an. C'était typique de notre politique d'alors: en mettre plein la vue aux pays sous-développés qui prenaient l'URSS pour un paradis, au lieu de faire chez nous des hôpitaux convenables et de payer les médecins normalement."
Puis il m'a parlé de son grand-père:"Il a fait toute la guerre comme cavalier, avec un sabre, comme au temps de la guerre de 14. Mais il n'est rentré qu'en 46, parce qu'on l'avait envoyé nettoyer les partisans de Bandera, en Ukraine. Un jour, il a été blessé dans un cours d'eau et se serait noyé, mais c'est son cheval qui l'a sauvé. Il s'est placé de manière à pouvoir le soulever et l'a emporté jusqu'aux habitations les plus proches. Il est parti à 19 ans pour la guerre, un beau garçon, et en 47, il avait l'air d'avoir plus de quarante ans, vous voyez ce que cela vous fait, la guerre..."
Yaroslavl, mis à part la rudesse du climat, c'est un endroit pour des Français, c'est à leur échelle, cela garde un charme désuet, une grande poésie, on a envie d'y flâner, on y verrait bien un salon de thé ou un restaurant français, ou une boutique de déco. En réalité, la ville est très grande, Ilya n'était pas très sûr, mais dans les 800 000 habitants, mais comme souvent ici, cette population est répartie sur une grande surface, sur des quartiers nouveaux, ou des quartiers de petites isbas, séparés par des bouts de forêt. Le centre historique m'a paru de la taille d'une petite ville française comme Montélimar ou peut-être Valence.


Le débarcadère et la Volga

Le kiosque du gouverneur. Il y a dans l'air quelque chose qui évoque le film
"Cruelle romance"

On appelle cette rue l'Arbat de Yaroslavl, elle est très animée en été, avec des vendeurs de tout et n'importe quoi et des artistes de rue.

café Gavroche!


                                             Romance cruelle