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dimanche 7 janvier 2018

Joyeux Noël

Le temps épouvantable se poursuit, il neige, puis il pleut, on patauge et dérape sur la glace fondue, le ciel est gris, la terre marron. Je devais aller à Moscou hier et sentait un refus total de mon organisme. Je suis fatiguée par le temps, la pâtisserie. Didier pense qu’à 65 ans on est en pleine forme, sa mère qui en a 75 travaille malade, moi je n’ai pas la religion du travail. J’essaie de le faire correctement quand je suis obligée de le faire, mais je n’en ai pas la religion.
Lorsque je me suis décidée à partir, j’ai trouvé le bus bondé : je n’ai pas pu embarquer. Il fallait revenir une heure et demie plus tard ou se cailler en attendant dans un décor sinistre, et pas sûr que j’aurais eu de la place dans le suivant, pour lequel on ne peut pas acheter les billets d’avance, parce que c’est un longue distance et pas « notre autobus » qui fait exclusivement Pereslavl Moscou et réciproquement.
J’ai donc opté pour le monastère saint Théodore. Je me suis confessée, j’ai communié. La sœur Larissa m’avait ménagé une place assise dans la chapelle latérale sainte Nathalie et saint Adrien, où se tenait la mère de Pierre le Grand et où les éclopés trouvent refuge. Le problème est qu’on entend moins bien, et comme c’est en slavon, plein de choses m’échappent, seule une fréquentation assidue peut permettre à la plupart des Russes de comprendre complètement ces lectures, quand ils les savent pratiquement par cœur, si c’est possible.
J’étais épuisée et dans un état de semi-conscience vaseuse, les vieilles échouées autour de moi étaient pleines de sollicitude : le fait d’avoir accès à la chapelle signifie en soi que nous en sommes toutes au même point ! L’unique jeune femme du lot avait un lumbago…
La sœur Larissa m’a fait des cadeaux, j’ai eu droit à l’assiette de plastique décorée d’une photo du monastère. On a offert à tout le monde un livre : « l’influence des mauvais esprits sur notre vie ». Puis tout le monde est allé au réfectoire. Le chœur a chanté des noëls. Des gosses ont récité des vers. Une adolescente a chanté une abominable chansonnette aux accents américanoïdes sur la nouvelle année. Une jeune fille lui a succédé avec le même genre de répertoire. J’aurais pu me lever et chanter un noël français ou même russe, mais j’étais trop fatiguée.
Je trouvais les gens fort gentils et touchants, mais le mauvais goût, qui s’infiltre jusque dans ce vénérable monastère, bâti au XIV° siècle, embelli par Ivan le Terrible et plus tard par Pierre le Grand ou sa mère, me consterne profondément. Je devrais en avoir l’habitude, mais depuis que je suis au monde, je n’ai jamais pu m’y faire et c’est même ce qui m’a toujours fait considérer mon époque avec méfiance et aversion : sa laideur, marque du diable, la laideur du toc, du faux, du clinquant et du bariolé, du bling bling, de la poudre aux yeux.  A Solan, tout est en harmonie, dans la nouvelle église et les bâtiments d’habitation, tout est simple, beau et s’accorde, pas une fausse note. A saint Théodore, malheureusement, comme dans tout Pereslavl, toute la Russie soviétique et post-soviétique, c’est plutôt la cacophonie. L’évêque fait bien de se préoccuper de la résurrection du folklore...
Autrefois les gens connaissaient de nombreux noëls et aussi des refrains de quête, car on allait avec une grosse étoile de maison en maison demander des friandises, et l'on pratiquait toutes sortes de jeux carnavalesques et bouffons avec des masques, dont par exemple celui de la chèvre, est probablement un rite de fertilité païen. On se livrait à la divination avec un miroir et une bougie, dans la cabane de l'étuve, dans l'espoir de voir le visage de son futur fiancé.
Avant de partir, tout le monde a décroché sur le sapin des moniales un petit rouleau de papier brillant: c'était notre message spirituel pour l'année qui vient. Voici le mien:
Préparez-vous aux souffrances et elle seront allégées, refusez la consolation et elle viendra à celui qui s'en considère indigne. Saint Ignace Briantchaninov. 
Le taxi qui me ramenait, et que je partageais avec une autre bonne femme, expliquait à celle-ci que j’étais une vraie Française, et que personnellement, jusqu’à moi, il n’en avait jamais vu qu’à la télé.  Il voudrait des cours de français. «Et avec qui allez-vous pratiquer ça ? Lui demande sa passagère.
- Le patron du café la Forêt est français, son pâtissier aussi ! dis-je

- Voilà, conclut le taxi. Ca fait déjà deux ! »



Accompagnement de la chèvre chez des cosaques du Kouban

Nous ne venons pas tout seuls, nous amenons la chèvre.
Et notre chèvre vient d'arriver de Moscou.
Elle vient de Moscou, avec ses longues tresses, ses petits chevreaux.
Ohoho la chèvre, ohoho la chèvre grise,
Ne va pas la chèvre à Mikhaïlovka.
a Mikhaïlovka, ils sont tous chasseurs.
Ils ont blessé la chèvre à l'oreille droite
De son oreille gauche a coulé du sang. voilà la chèvre qui tombe, la voilà morte. 
Hé toi, Mikhanos, souffle-lui sous la queue!
Hé toi, Gavrila, souffle-lui dans le museau!
Voilà la chèvre qui se lève, la voilà vivante!
Tape, tape du pied, pique, pique de la corne.
Où la chèvre lève la queue, voilà le blé en gerbe.
Où la chèvre pique de la corne, voilà le blé en meule. 
Où la chèvre passe, voilà le blé qui lève.

J'avais mis ce jeu en scène avec mes enfants de grande section de maternelle à Moscou.



Des enfants recueillent des friandises


vendredi 5 janvier 2018

Plus au nord...



Sur le fil de nouvelles de Natalya Ponomaryova, j'ai trouvé ce merveilleux film documentaire sur le nord de la Russie, la rivière Mezen.
Oubliée des promoteurs, de ceux qui font de l'argent à tout prix, délabrée et austère, subsiste là bas la sainte Russie, celle qui m'a pris l'âme dans son charme à la fois humble et puissant, dans son immensité et sa profondeur, dans son humanité et sa pureté.
Ce film comporte peu de paroles, il se regarde, s'écoute et se ressent.
Dieu garde la sainte Russie. Jusqu'au Dernier Jour.

Des enfants russes

Je dis des enfants russes, parce qu'ils sont vraiment russes, des Russes complets, pour qui être russe s'inscrit dans une continuité culturelle millénaire...
Hier, la famille Leïkine s'est arrêtée chez moi, à la grande joie de Rosie qui a pu jouer avec des enfants qui n'avaient pas peur d'elle, et j'ai pu observer qu'en devenant adulte, elle avait acquis de la douceur et déployait de grandes précautions pour ne blesser personne.
Les petits Leïkine avaient un ami, avec eux, Ilioucha, lui aussi grandi dans sa tradition, et ils ont joué, dansé et chanté, avec une grâce et un naturel qu'on acquiert seulement quand musique et danse sont des moyens d'expression spontanément développés, comme des jeux, lesquels jeux sont, comme on la sait, l'apprentissage de la vie, du moins de la vie normale.
Les parents Leïkine appliquent plus ou moins avec leurs enfants les principes que je développais en maternelle, de manière évidemment beaucoup moins suivie, car j'avais moins de temps à consacrer à chacun de mes élèves, et je devais aussi tenir compte des impératifs de l'éducation nationale...
Sont venus nous rejoindre Olga et Oleg, qui m'apportaient un ragoût de poisson et de légumes dans un vieux pot paysan en fonte . J'avais rencontré Olga cet été, avec Yana et Dounia, elle s'était souvenue de moi et avait souhaité me revoir.
Nous avons mangé un gâteau de Didier, caramel poire, un délice absolu! D'ailleurs, il n'en est rien resté. Oleg et Olga m'ont dit que même à Moscou chez des pâtissiers renommés, ils n'avaient jamais rien mangé d'aussi raffiné.
Nous avons bu de mon vin de pomme. Et discuté de foi orthodoxe, de paganisme et de tradition. J'ai expliqué comment je suis venue ici: "Pour moi, c'était quand même une sorte d'exploit, car il était plus simple de rester là bas, mais je crois que je devais le faire...
- Oui, me dit Oleg, vous avez employé le mot qu'il convient, "exploit", à notre sens spirituel du terme, car cet exploit vous fait avancer, vous bouscule et vous fait avancer, et cette maison si jolie et si agréable où vous êtes venue seule à la rencontre de la Russie est, en réalité, une sorte de skite...
- Pourtant, je ne suis vraiment pas quelqu'un d'ascétique!
- Cela ne fait rien. En soi, ce que vous avez fait est une forme d'ascèse."
Oleg et Olga m'ont vanté les mérites de leur médecin, ici, et Micha et Natacha me recommandent à Moscou une amie qui travaille chez Renault...
Comme quoi, tout de même, je suis aidée!
Il neige enfin, pourvu que ça tienne. Un taxi m'a dit: "Le beau temps, ici, il vaut mieux se le faire à l'intérieur de soi". Comme c'est la deuxième fois que j'entends dire quelque chose comme ça, je pense qu'il s'agit d'une caractéristique de la psychologie russe!




mercredi 3 janvier 2018

L'hiver russe, c'est pas du millefeuilles...

Ce monument, c'est Rosie perchée sur le tas de sable du voisin qu'elle accompagne à la pêche
Je suis revenue aujourd’hui de la pâtisserie d’une humeur massacrante, à cause de la fatigue et du temps immonde. Je ne sais plus à quoi ressemble le soleil, à vrai dire, on a même l’impression que le jour ne se lève pas, bien que théoriquement, depuis le 21, il rallonge. On passe directement de l’aube au crépuscule, sans les couleurs qui vont avec l’un et avec l’autre.  Tout est gris, morne, sale et moche. Rien de mieux qu’un tel temps, quand il n’y a plus de verdure et pas de neige, et pas de soleil, pour voir les disgrâces de cette ville autrefois si jolie, encore très pittoresque il y a vingt ans, et de plus en plus abîmée, banale et sale. Didier me disait qu’il voyait des sacs poubelles jetés le long de la rivière, près de la plage du lac. Quand j’allais encore promener Rosie le long de l’ancienne berge escarpée, c’était pareil, des décharges sauvages de tous les côtés. La cour des anciens baraquements que je traverse pour raccourcir et éviter le marécage qu’est ma rue derrière la maison, est jonchée d’ordures, un véritable dépotoir, d’où Rosie me rapporte diverses pièces de choix, qu’elle dissémine à travers mon propre terrain.
Un concours étant ouvert sur internet pour trouver un projet de monument à placer à l’entrée de la ville pour la caractériser aux yeux des touristes, un plaisantin a proposé : un écriteau noir avec « corruption » marqué dessus…
Didier n’arrête pas de râler : on n’est heureux et tranquille que dans son cercueil, le monde moderne est immonde et va à la catastrophe, la Russie est un pays sinistre avec un climat de merde et des gens qui ne savent pas travailler. Et moi, je vais l’assister parce que je ne sais comment me débiner, car je l’aime bien, j’aime bien tout le monde, et c’est pourquoi je ne peux refuser, mais c’est une trop grosse contrainte, je rentre chez moi à deux heures, sur place, une des employées prépare une tambouille ignoble et grasse, qui fait grossir, l’alternative, c’est le grignotage ou crever de faim ; j’ai mal aux genoux, et je reste trop souvent debout. Avec  Didier, je laisse râler le chef, et en rentrant chez moi, je râle pour moi seule, et pour les animaux : ces parasites ne mangent pas ce que je leur donne et je leur donne ce que je peux. Dans un magasin je trouve pour les chats mais pas pour la chienne, dans l’autre, c’est le contraire. Les chats ne veulent considérer que les croquettes Purina en paquet métallisé, j’ai acheté Purina d’une autre sorte, ils n’en veulent pas. La salope de chienne ne veut pas de la pâtée que je mitonne avec de la farce, mais elle bouffe les merdes des chats et tout ce qu’elle peut trouver de révoltant dans le périmètre. Les misérables chats tordent le nez devant le fromage blanc  extra que j’achète au marché, du vrai fromage de vache normale, que je paie deux fois plus cher qu’ailleurs pour ma propre consommation ! Bref je donnerais tout ce paquet de connards pour mon petit Doggie toujours content, du moins en de tels moments.
Didier fait des chaussons aux pommes, maintenant. Je ne les ai pas encore goûtés, mais il y a eu l’essai de galette des rois à la frangipane…  «Tu ne fais pas de mille-feuilles ? J’adore les mille-feuille, c’est juste un peu difficile à manger…

- Difficile à manger, le mille-feuille ? Attends… Tu ne sais pas ce que c’est qu’un vrai mille-feuille. Je te fais un mille-feuille, tu n’auras pas besoin de serviette, mon mille-feuille est fondant comme un pavé sur la gueule d’un flic ! »
Mais il a renoncé à en fabriquer, parce qu'il ne trouve pas ses collaborateurs à la hauteur de la tâche...


dimanche 31 décembre 2017

BONNE ANNEE 2018

Je trouve toujours un peu bête de le faire, mais le moment est venu de se souhaiter une bonne année. Depuis le temps qu'on en voit passer de pas franchement meilleures ou de pas toujours pires, on peut se dire que cela ne sert pas à grand chose, mais enfin oui, évidemment, souhaitons-nous le meilleur quand même!
J'ai cherché une carte de vœu russe. Je n'ai vu que des horreurs. Je suis allée sur carte de vœu soviétique, je dois dire que c'était nettement mieux, il faut dire qu'à l'époque, beaucoup d'artistes réfugiaient leur talent dans l'illustration et ce genre de choses, maintenant, les cartes sont commandées par des gens qui font du fric, qui ne sont intéressés que par le fric, et jugent de la qualité d'un artiste de par leur mauvais goût personnel.
Souhaitons plus de beauté, d'harmonie, de bonté et de simplicité, de respect pour nos cultures et nos traditions locales qui, à travers nos ancêtres, nous relient à toute l'humanité, elles nous relient, elles ne nous mélangent pas, n'importe comment, comme on croise des chiens ou des chats pour créer une nouvelle race. Souhaitons des prises de conscience salutaires: sans retour à un genre de vie plus simple, plus normal, plus respectueux de tout ce qui vit sur terre, plus digne, plus noble, nous allons nous créer un enfer qui nous rendra la mort facile.
Je souhaite que tout cela prenne fin avant de nous faire le monde irrespirable, hideux et révoltant au delà de ce que nous pourrons supporter. Je souhaite que soient défaits les serviteurs transnationaux de Mammon.
En un mot: maranatha... Viens, Seigneur Jésus!

Et donc, autant que possible, meilleurs vœux à tous ceux qui me lisent.

samedi 30 décembre 2017

Déco

Le temps dégueulasse ne me poussant pas à sortir, je fais comme les Russes dans le temps, et dans la même situation, sans doute, je décore.
J'avais deux chaises soviétiques en contreplaqué complètement destroy trouvées dans la maison, je les ai peintes et recouvertes d'un tissu trouvé au "Lin Russe", à Pereslavl.
J'avais un vieux tabouret certainement fabrication maison, endommagé par les artisans qui s'en servaient pour couper des planches, je l'ai peint de même, et décoré.
Et puis je me suis attaquée à ce que j'hésitais depuis longtemps à faire: des fresques intérieures. Cela doit être fait avec discrétion, quand même, si l'on veut suspendre des tableaux, il faut choisir les endroits, et les couleurs...
J'ai commencé sur la porte de ma chambre, un lion, comme il se doit! Il n'est pas fini, j'ai besoin de réfléchir.
J'espère que je n'ai pas fait une connerie...
Le froid arrivera vers la Théophanie, pas un grand froid, quelque chose comme moins cinq moins dix. J'espère qu'on n'aura pas moins trente au mois de mars...
Depuis deux jours, j'arrive à dormir sans être éveillée par des douleurs. Ca me repose.






vendredi 29 décembre 2017

Les rêves russes d’un « archimandrite français »


 

Voici un autre Français, un précurseur, qui est parti en Russie, comme moi, en 94, et cela sans retour. Le père Basile Pasquiet est maintenant définitivement russe, quoique très attaché à ses racines vendéennes. Je l'ai connu il y a déjà quelques années, grâce à mes cosaques qui étaient allés chanter dans sa ville. J'ai traduit ce petit article de la revue "Thomas", la revue orthodoxe à l'usage de ceux qui doutent, pour laquelle j'ai ouvert une page sur Facebook, "la Russie vue par les yeux de Thomas".

Il y a huit ans, le 25décembre, le saint Synode a confirmé dans le statut de supérieur du monastère d’hommes de la sainte Trinité à Tcheboksary l’archimandrite Basile (Pasquiet), moine russe, français d’origine. Le père archimandrite a pris la direction d’un monastère déjà restauré mais pas complètement remis en ordre : il avait encore à mettre en valeur le territoire du monastère et près de celui-ci, à restaurer l’église du grand martyr Théodore Stratilate, la chapelle de saint Nicolas le Thaumaturge, est apparu également une église domestique dans les appartements de l’higoumène.
L’année écoulée a aussi donné à l’archimandrite Basile une autre occasion de création : du désert de la Transfiguration du Sauveur de Gerontievo, qui était sous la juridiction du monastère de la Trinité de Tcheboksary, restait une source, dont les chroniques du monastère rappelaient l’existence. A cet endroit se poursuit aujourd’hui la reconstruction du quai, dans la beauté duquel il serait convenable d’éterniser la mémoire de l’ermitage.
- Figurez-vous comme ce serait bien si maintenant, l’hiver, depuis le monastère et le long du désert, les gens glissaient le long du quai en troïka !  Il faut à notre pays ressusciter des traditions russes de ce genre, dit l’archimandrite Basile pendant les prises de vues de cette histoire.


Crèche française pour les enfants de Tcheboksary
 

Texte et photos Alexandre Gavrilov pour "Thomas"
traduction Laurence Guillon